Extrait du journal

Les cloches de Pâques dans le ciel d'avril donnent au Parisien des idées de voyage. Il se sent poussé hors de sa ville par le vieil instinct qui incite l'homme à changer de place et lui ins pire, le désir de nouveaux horizons et de nouvelles figures. Il éprouve, à cer tains moments, le besoin de se sentir autre et de renoncer à ses habitudes quotidiennes. Cette illusion de rajeu nissement, il la trouve dans le mouve ment qui l'emporte à travers la diversité des paysages, dans tout ce que repré sente pour lui le voyage, ses hasards, ses surprises et même,ses déconvenues qui lui aident à oublier momentané ment ses soucis et ses ennuis en leur én substituant d'autres qui ont, à tout le moins* le ^mérite d'être imprévus. C'est donc pour se distraire de soi-même que l'on voyage autant que par curiosité polit-les pays et les lieux vers lesquels on s'iaventure, au son des cloches de Pâques et sur l'invitation des mille faci lités qu'offrent aux voyageurs d'à pré sent les agences de tourisme et les moyens de locomotion privée dont dis posent abondamment, grâce à l'auto, les Français d'aujourd'hui. N'art-il pas le choix, en effet, entre des croisières infiniment séduisantes, admi rablement organisées et des itinéraires ingénieusement combinés ? Néanmoins, quelque alléchants que soient ces voya ges en commun et quelque avantageux qu'il puissent être, je sais encore des voyageurs qui préfèrent goûter solitaix-ement les plaisirs du voyage, sans qu'un programme, même accepté, en règle les agréments méthodiques. Il ne faudrait pas considérer ces récalcitrants comme des ennemis du prochain. Leur préférence à. voyager isolément leur vient surtout de ce qu'ils demandent au voyage, plutôt que des satisfactions pit toresques et visuelles, cette sorte de re pos nomade que procure à l'esprit une mouvante solitude qui a pour eux plus d'attraits que la plus agréable compa gnie de route. Quand je rencontre un de ces errants qui accomplissent seuls leur pèlerinage vers quelque beauté de la nature ou vers quelque merveille de l'art, je me demande si ce n'est pas là pour èux un prétexte à visiter en silence et à l'écart de tous quelque coin secret d'eux-mêmes qu'ils atteignent plus ai sément par ce vagabondage méditatif que lorsqu'ils , en sont distraits par les soucis de l'instant et les soins journa liers de leur existence casanière. Je • n'ai jamais eu grand goût, Je l'avoue, pour ces voyages pascaux, si en faveur auprès des Parisiens, car, en cette saison de l'année, Paris me retient volontiers par son charme printanier, par cette sorte de gaieté encore un peu acide de la lumière et par l'allégresse juvénile de l'air, par les frais feuillages dé ses avenues et de ses jardins. J'ai quelque peine à quitter ce charmant Paris d'avril, et c'est en automne de pré férence que j'obéis à cette:'« invitation aii voyage » dont chacuade flous, à un moment ou à un autre de l'an, entend l'appel. C'est l'automne que je choisis sais jadis le plus volontiers pour aller passe quelques semaines au bord de la Lagune vénitienne. Que de fois j'ai vu la Ville Enchantée sortir des eaux et s'offrir en son automnale beauté à ma curiosité jamais lassée ! Que de souvenirs ce nom prestigieux de Venise n'évoque-t-il pas en ma mémoire ! Si je n'y ai jamais en tendu les cloches de Pâques, celles de tous ses campaniles résonnent encore à mes oreilles et il me semble recon naître; dans le doux ciel de l'octobre vénitien, leurs voix de bronze, les unes graves comme le soir, les autres toutes vibrantes d'espérances matinales....