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Le Figaro, 18 avril 1933

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Le Figaro
18 avril 1933


Extrait du journal

Premiers crépuscules du printemps sur les premiers-marronniers feuillus, dont les palmes sont d'une fraîcheur de vert qui semble un vernis, miracle aux yeux habitués à ne plus voir de puis longtemps que des troncs noirs et morts ! Crépuscules prolongés encore par la bénie heure d'été, qui fait sonner sept coups aux horloges surprises que ce soit encore le jour, transformant le printemps en une espèce d'été anormal et prématuré ! Avec quel bonheur profond — les vrais bonheurs sont peut-être les phy siques, c'est pourquoi l'enfance est le paradis — on sent arriver dans ces premiers beaux jours, sur la brise déjà tiède, les journées bleues et dorées de juin, de juillet et d'août ! Quel prodige une fois de plus que cette naissance de la belle saison, après des mois d'hiver si longs qu'on s'était habitué aux temps moroses et qu'ils semblaient la forme de la vie sur la terre ! Quelle transfiguration subite des choses, de toutes choses, depuis le cail lou du jardin dont la tranche luit au soleil comme un mica, jusqu'à l'étoile un peu verte qui, au lieu de frissonner parmi de maigres branches dans les espaces déserts du ciel, semble mainte nant naviguer sur un lac d'azur som bre, entre deux rives de feuillage, et qu'on pourrait voir, se détachant de l'une, aborder à l'autre si on avait la patience de regarder dans la nuit son voyage silencieux ! Paris privilégié a déjà presque son aspect de mai, cependant que la cam pagne n'est que d'hier sortie de mars. Les vastes horizons y montrent encore les arbres demi-nus, et les grandes es sences des forêts, les hêtres, les ormes, les chênes, commencent à peine à se saupoudrer de verdure, alors que les marronniers de Paris agitent dans l'air toutes leurs palmes arborées. C'est là une des grâces de notre ville, cette pré cocité du printemps, payée, hélas ! dès la fin d'août par une triste rançon, l'ir ruption de l'automne sur les feuilles grillées et les gazons jaunis. Mais n'y pensons pas, ne pensons même pas au jourd'hui qu'il puisse y avoir un au tomne et que déjà, embusquée derrière l'été futur, la saison triste nous attend. Aujourd'hui tout est allégresse et sé curité : tout espère et croit; tout chante l'absurde et l'éternel chant de confiance dans la vie. Il n'y a que l'azur, il n'y a que le soleil, il n'y a que le printemps ! Hélas ! ce printemps, nous venons après tant d'autres pour le sentir et pour le dire ! Tant de nos frères poè tes, proches ou lointains, ont chanté des printemps évanouis ! Oui, cette joie d'avril et de mai, avant d'être du noir sur du blanc dans leurs livres, a d'abord été de la, vie éprouvée dans leurs nerfs et leurs moelles ; ce qui n'est plus maintenant pour nous que des citations a été pour eux de l'air qui entrait par des fenêtres ouvertes, des feuilles qui pointaient sur des lilas, des oiseaux qui roulaient au fond de leurs petits gosiers des notes comme des bulles. Et cette réalité se sent encore dans leurs vers, vieillissant d'avance les nôtres. Nous sommes dépossédés par tous ceux qui nous ont devancés, nous sommes pauvres de toute leur richesse. Et pourtant ce printemps qui com mence est aussi frais, aussi jeune, aussi neuf pour nous que pour Adam, entre les quatre fleuves, le fut celui de l'Eden. Et voilà des milliers d'années que c'est ainsi. Tout, à peu de chose près, est tou jours le même. Les êtres seuls changent, — et encore! Depuis des jours innom brables, ce sont les mêmes espèces ani males, et quant aux hommes, ils ont les mêmes corps, les mêmes visages, que dis-je ? depuis des siècles les mê mes noms, de telle sorte qu'à deux re gards jetés sur l'univers en 1700 et en 1900, un être supérieur, de là-haut, n'eût pas constaté de différences sauf dans les vêtements, et eût pu croire qu'il avait regardé notre globe à deux instants de suite séparés à peine par un çlin d'oeil. Rien lie commence, rien ne finit. Le monde, sous ses apparences de variété et de mouvement, est l'éternelle iden tité. Eternellement les mêmes points de lumière décrivent les mêmes orbites dans les mêmes immensités. Eternelle ment. Infatigablement. Et nous, en bas,...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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