Extrait du journal

J'avais lu dans les journaux-de la Côte d'Azur qu'il se préparait à èjannes une course automobile, d'un genre nouveau, et qui promettait un vif divertissement à ceux qui g prendraient part. Cette course avait été nommée d'un nom prometteur : « L'enlèvement des Sabines » et j'avais aussitôt évoqué le beau groupe de Jean de Bologne qui, derrière le Persée de Benvenuto, anime de sa grâce mouvementée la loggia de Florence. Il s'agissait de se présenter avec deux dames. La place de chacune d'elles serait tirée au sort et il était exclu qu'on accomplît le parcours fixé avec les personnes de son choix. Sans doute (j'écris « sans doute », car une par tie du règlement demeurait mystérieuse), sans doute s'agissait-il de retrouver les dames avec lesquellès on était venu et de les enlever, après de longues recherches et une randonnée, avec d'autres dames qu'on ne connaîtrait pas. H y avait là les éléments d'un scénario pour M. Sacha Guitry, à tout le moins le titre d'une co médie telle qu'il pourrait l'imaginer. Or, le public, lui, ne s'est pas reconnu assez d'imagination pour l'écrire et les Sabines n'ont pas été enlevées, faute d'en gagements. Là course n'a pas eu lieu,, ce qui m'a un peu déçu (car j'aurais voulu connaître tous ses secrets), ce qui m'a aussi inspiré quelques réflexions. Ne négligeons pas les petits faits : ils sont révélateurs. Cette abstention prouve ou l'excellente dignité des mœurs ou leur triste lassitude. Dignité : les propriétaires■ de voitures se sont peu souciés d'amener des dames qu'on leur enlèverait aussitôt et de pro mener des compagnes inconnues. Lassi tude : à quoi bon, ont-ils pensé, faire de si grands efforts pour ravir des personnes que nous voyons tous les jours, que nous pouvons rencontrer à notre guise, et dont la plupart n'ont guère rien de neuf à nous apprendre. Dans l'un ou l'autre cas, d'ail leurs, j'aperçois un manque d'appétit ro manesque, qu'il faut signaler. Où est le temps où M. Paul Morand écrivait : « ... belle comme la femme d'un autre ! » Proche et déjà bien loin l Les femmes des autres sont encore belles, mais personne — la vie est déjà si compliquée 1 — ne songe à les enlever. A' Cannes, du moins. C'est assez rassurant pour la morale. Mais les Sabines, qu'en pensent-elles? Guermanfes....