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Le Figaro, 17 juillet 1902

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Le Figaro
17 juillet 1902


Extrait du journal

psychologique — qui me fait aimer la contre basse. C'est un objet considérable, et d'arrièreplan; indispensable et sacrifié... Et ils sont ainsi, au Conservatoire, un cer tain nombre d'instruments légèrement comi ques dont j'ai la passion, parce qu'ils sont frès utiles et ne connaîtront jamais les douceurs de la popularité ni les profits de la vedette : tels l'humble cor, le délicieux basson — dont les réflexions, dans le bavardage de l'orchestre, ont souvent tant d'esprit — et l'honnête trom bone, si éternellement effacé. Aucune foule ne les applaudira jamais ; et leur carrière se passera, dans l'ombre de l'or chestre, à servir^ talent des autres. On leur demande d'être sans défauts; maison entend aussi que cette perfection demeure anonyme et collective, — au service de gloires voisines qui la dédaignent... Et voyez comme s'affirme ce dédain, — tout de suite : on leur donne, en cette grande semaine des concours, les mauvaises places. Ils ne sont point les vedettes. Ils sont ceux qui commencent la série ou qui la finissent. Les contrebasses la commencent. ' Il est neuf heures et demie du matin. Sur la scène, les onze musiciens du petit orchestre d'accompagnement sont â leur poste, assis en demi-cercle autour de l'instrument énorme qui gît là devant eux, Comme un meuble renversé, l'archet posé dessus en travers,—à côté du petit tabouret de paille où l'appariteur a dé posé un morceau de colophane ét un torchon. Ils sont, cinq jeunes gens qui concourent. D'où cette étrange ambition leur est-elle ve nue? Par quel hasard d'inspiration et de rai sonnement un garçon de seize ans, placé de vant une contrebasse, a-t-il pu être amené à décider : « Je m'agiterai toute ma vie le long de cette armoire, et rien désormais ne saurait, au monde, m'intéresser plus que cela »? . Et voilà déjà de quoi les rendre eux-mêmes intéressants. ■ On est venu les: nommer, l'un après l'autre ; et l'un après l'autre, ils ont paru, déjà mo destes. Ils n'ont pas la belle assurance des soli et leur coupe de cheveux n'a rien d'excep tionnel. Ils n'ont même pas endossé le frac des violonistes ; ils concourent en veston de travail, très modestement, et ne recherchent point, dans l'exécution, l'élégance des postures, parce qu'ils la sentent impossible. On ne sau rait être beau le long d'une contrebasse. Et cependant, dans la façon dont leurs jeunes bras enveloppent, caressent ou brutalisent cette chose énorme, on voit des. différences de tempérament s'affirmer. Ce n'est pas joli, niais ce n'est pas ennuyeux non plus à regarder. L'un, collé tout droit à l'instrument, le do mine déjà d'un poignet solide et qui n'a pas peur; un autre, dont la note- tremble un peu, l'embrasse avec plus de gentillesse, et l'on sent ,une espèce" d'inquiétude "dans' son cour rage; un troisième s'y cramponne, les jambes écartées, la. tête jetée en avant, dans l'atti tude d'un homme Subitement indisposé. Et l'auditoire, clairsemé sur les banquettes, écoute avidement cette musique étrange, encourage, applaudit au passage les grognements où il a. démêlé le plus de science. En une demi-heure, tout est fini. ' Et pendant une demirheure encore, ils vont attendre, fiévreux, derrière la mince cloison qui sépare leur groupe de la scènej la décision suprême du jury. La voici... La sonnette de M. Dubois s'agite dans le silence subitement fait, et l'on entend une voix grêle qui appelle deux noms. Ils apparaissent. Notre maigre foule dispersée les acclame. — Messieurs, le jury à l'unanimité vous dé cerne le premier prix. On bât des mains, on crie! Ils saluent, sou rient, remercient d'un geste éperdu. L'un d'eux a les yeux tout mouillés. Et ce sera l'unique minute glorieuse de leur vie. Le gouffre de l'orchestre est là, qui les guette. Ils y glisseront demain, et l'on n'entendra plus jamais parler d'eux. Il faut aimer les contrebasses. Sonia....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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