Extrait du journal

Les délégués du parti radical afflueront à Nantes la semaine prochaine pour leur congrès annuel. Ce congrès annuel se présente comme une sorte de prologue à la session parlementaire de l'automne. Le public doit donc porter attention au réveil prochain des débats politiques. C'est une habitude chez nous, dès que la « saison » politique commence, de se demander combien de temps le cabinet au pouvoir survivra à la rentrée parlementaire. Habitude qui traduit une des faiblesses les plus caractéristiques de notre régime : le goût de l'instabilité. On dirait que le monde des élus ne se sent vivre que dans la mesure où il travaillé à renverser les gouvernement? et espère y réussir. Tout le reste, à ses yeux, paraît accessoire. Ce penchant à l'instabilité ise manifeste contre tous les gouvernements, quelles que soient leurs couleurs et leurs intentions. On a vu, dans la présente législature, cinq gou vernements de gauche renversés en moins de deux années par une Chambre de •gauche. Rien de tel n'est observé à l'étranger, même dans les pays réputés les plus démo cratiques, comme l'Angleterre et les EtatsUnis — du moins chez les peuples qui ont une certaine culture politique. Les inconvénients de l'instabilité sont évidents. Aucune administration ne peut poursuivre sa tâche normalement quand les chefs responsables sont soumis à une valse incessante qui les empêche même de s'ins truire des exigences de leur fonction. Les affaires courantes sont expédiées au hasard. Les grands problèmes restent en suspens, sinon ignorés. Il n'y a plus d'entreprises suivies. L'imprévoyance devient reine des bureaux... Nous avions jadis la meilleure administration de l'Europe. Elle a été dés organisée et démoralisée par l'instabilité ministérielle. Les ministres de passage ne se soucient le plus souvent que de servir hâtivement leur clientèle et de caser leurs créatures. Il arrivé ainsi que la France change de gouvernement pour permettre à un attaché de cabinet d'être promu souspréfet. • ' C'est aussi l'instabilité, ministérielle qui entretient, dans notre, parlementarisme, le désordre et l'indiscipline. Du moment que l'on a chance de devenir ministre à tout instant ou d'exploiter l'ambition de ceux qui rêvent sans cesse de devenir ministres, il est impossible à n'importe quel parti d'empê cher tel de ses représentants de manœuvrer et de faire des combinaisons pour son compte personnel. Il est impossible, aussi bien, à n'importe quel chef de gouverne ment de soustraire ses propres ministres aux intrigues isolées. On se plaint que les mem bres du cabinet Doumergue ne soient pas toujours d'accord. Quelqu'un a-t-iï connu, au cours de ces dernières années, un seul cabinet dont tous les membres fussent en état de confiance les uns à l'égard des au tres ? Existe-t-il la plus faible chance qu'un nouveau cabinet qui se formerait de main, montrerait moins de divisions ?.... L'impuissance gouvernementale dont souffre la nation dans tous les domaines vient en grande partie de là. . Et de là vient aussi le discrédit croissant de notre régime à l'étranger, discrédit qui paralyse notre politique extérieure... i Le cabinet Doumergue a huit mois. Il n'est bruit, paraît-il, dans les cercles qui veulent sauver la République, que de le renverser. Ses mérites ou démérites sont une question. Le fait qu'aucun régime, dans les périodes difficiles, ne résiste longtemps à l'instabilité ministérielle est une autre ques tion. Mais, pour l'avenir de la République, cette dernière question nous paraît domi nante. On finira par donner aux citoyens un tel dégoût de l'instabilité qu'ils applau diront, tôt ou tard, à n'importe quelle forme de stabilité, serait-elle fondée sur les ruines de la République. Lucien Romier....