Extrait du journal
Je suis de ceux qui ne croient pas aux leçons de l'Histoire. L'expérience est une acquisition strictement person nelle, que l'on ne saurait tenir d'autrui ni hériter de ses ascendants. En outre, l'histoire fait mine de se répéter, mais elle ne se répète jamais à la rigueur ; et cela suffit pour lui ôter toute valeur de document. Le pauvre genre humain vit donc au jour le jour, allant de sur prise en surprise, et sans boussole pour se conduire. Je le plaindrais, si j'avais le temps, et s'il n'était pour son salut, dans cette histoire changeante à qui on ne peut se fier, un chapitre de tout repos : c'est l'histoire diplomatique. Celle-ci ne craint pas dê~së répéter, elle peut donc nous enseigner. La Car rière, depuis qu'elle existe, n'a pas changé un iota, ' ni à ses traditions, ni à ses méthodes. Son esprit est comme les idées de Platon, qui existent par elles-mêmes, et qu'il faut prendre com me elles sont. Elle vit de précédents, son passé, en conséquence, répond de son avenir : nous pourrions prédire à coup sûr ce qui nous attend quand c'est elle qui se mêle de nos affaires ; la politique devrait lui en laisser le soin, tout irait mieux. Malheureusement, l'une et l'autre tiennent à leurs procédés, qui se con trarient. Lorsqu'il s'élève entre deux peuples un différend (notez que toute l'histoire humaine ne se compose que de ces différends), les politiques cher chent un terrain d'entente, les diplo mates cherchent une formule. Or, on ne trouve jamais le terrain, et on finit tou jours par trouver la formule d'entente, si l'on a un peu la pratique de Downing Street et du Quai d'Orsay. Au prix des formules, les réalités sont négligeables, ou plutôt les formules sont les seules réalités. Lorsque le princeprésident fit en 1851 son opération de police un peu rude, l'impression dans les diverses cours d'Europe fut plutôt favorable. On y avait, comme il est assez nature), le goût de l'ordre et de l'autorité. Mais tout faillit se gâter, lors que, se faisant empereur (à quoi l'on ne voyait d'ailleurs aucun inconvénient), il prétendit s'intituler Napoléon III ; car ce chiffre ne se pouvait justifier si l'on n'admettait un règne éphémère de Napoléon II, et c'était violer la lettre des traités de 1815. J'emprunte ces détails instructifs, qui ne manquent pas d'un certain comique, à un excellent article de M. Jean d'Eudeville, dans la Revue de Paris, sur l'Avènement du Second Empire. Souhaitons qu'à défaut des leçons de l'histoire, celles de l'histoire diplomatiqué ne soient pas perdues, et que la Société des Nations cherche des for mules, oh ! rien que des formules, pour dissiper les nuages qui nous offus quent aux quatre points de l'horizon. Il est certain que l'on ne peut contenter tout le monde et son père (mes lecteurs devinent à quelles puissances je fais allusion) ; mais ici je recommanderais l'emploi de termes philosophiques, dont l'obscurité est parfois précieuse. Ne pourrait-on, sans rien modifier des titres reconnus par le protocole, faire enten dre discrètement au lion vainqueur de la tribu de Juda que l'essence n'implique pas l'existence ? Abel Hermant, de l'Académie françaist....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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