Extrait du journal

Ils sont là cinq cents, sages, attentifsi Les femmes ont fait un brin de toilette et les yeux des hommes sont brillants de joie sous le béret de drap bleu. Les rires, seuls, qui fusent clairement, se" brisent parfois sur une note grave, imprévue, troublante. Pourtant nous sommes chez les fous. Tout autour de cette chapelle, transformée en théâtre, ce sont les sombres pavillons, les grilles, les murs si hauts, si gris de Sainte-Anne ! Et c'est pour qu'une heure on oublie tout cela que, cet après-midi, tant de ve dettes affrontent, avec un peu de crainte, un public inconnu, changeant, qu'il faudra constamment « ausculter » pour ne pas le perdre. Grock, le grand clown ; Baugé, le grand chanteur, et Mado Minty, et tous leurs camarades, ont-ils pour tant connu plus émouvant succès que celui qu'on leur fait ici, ont-ils déjà reçu des bravos plus chargés de plaisir, d'ardeur et de reconnaissance ? D'abord, c'est le chanteur populaire, encadré de ses accordéonistes, qui fait passer sur les tètes ten dues les naïfs émois d'amour, les refrains nostal giques des banlieues du dimanche. — Cafard... Cafard... Heureusement, voici André Baugé qui fait sonner les couplets pimpants de Ciboulette et qui chante avec sa femme — la plus jolie voix pimentée d'émo tion — le génial duo de Véronique. Cahin-caha... Cahin-caha... c Tonnerre d'applaudissements. Oh ! la danseuse. Qu'elle est belle et souple, im matérielle ! Que c'est joli, cette écharpe fleurie qui tourne ainsi, libre, joyeuse ! / Mais pourquoi le comique a-t-il cette ritournelle : C'est la musique Qui m'a rendu dingo , Le, professeur Toulouse a plissé le front. C'est le tour de Grock. Grock et son"partenaire,, Grock et son petit violon, Grock et son piano fàntastique, Cascades, chutes, pirouettes. Et ce fameux « Pourquoâ ?» ce fameux « pour quoi » qu'ils se posent tous ici. Le pitre génial n'a jamais, certes, de Chicago à Rome, entendu des clameurs aussi frénétiques. Et c'est fini. C'est fini, déjà ! La vieille dame qui se croit l'impératrice Eugénie quitte à regret sa chaise de paille. Les fous, par troupes bruyantes, s'en vont lentement dans les ;;]lées pleines de nuit... gardant avec soin, dans leur pauvre esprit, l'écho des chansons, le reflet de la rampe, la vision des danseuses en robe pailletée... j Georges Rayon. '...