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Le Figaro, 22 janvier 1931

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Le Figaro
22 janvier 1931


Extrait du journal

Une fois de plus, tout à l'heure, nous entendrons sous la Coupole un chef faire l'éloge de ses soldats. Pas un des organisateurs de la victoire n'a manqué de rendre hommage à ceux qui en furent les ouvriers. Ce n'est point par un excès de modestie, qui serait d'ailleurs mal à propos ; car les mérites sont par tagés, les tâches étaient diverses, et chacun s'est bien acquitté de la sienne, soldat ou chef, chacun a bien mérité. Ce n'est point par humilité chrétienne, comme un Ambroise Paré qui imputait à plus grand que lui ses succès de chirurgien, et qui disait de ses opérés, — il avait pris cette devise : « Je les pansai, Dieu les guérit. » Chez tous nos grands chefs "de la guerre, on sent la sincérité de l'estime pour 1 hqmme de troupe, l'admiration émue, l'étonnement. On sent l'humanité. Cette note est peut-être assez neuve. Certes, la douce France a été, depuis les temps le> plus ait ciens de l'histoire, servie par bien des généraux qui s'enorgueillissaient d'être appelés les pères jde leurs soldats ; mais jamais cette paternité fut-elle si douloureuse ? En ces temps qui, malgré les; ap parences, étaient beaucoup moins âpres que le nôtre, la vie des soldats n'était probablement pas très confortable : ce n'était pas la vie des martyrs. Le maréchal Péiain a su inspirer à ces martyrs, trop excusables d'être parfois ombrageux, une affec tion et, mieux encore, une confiance absolue. Il ne les a pas seulement conduits à la victoire : il a ramené ceux qui s'égaraient. J'aime que le directeur de l'Académie- française n'ait pas eu de fausse pudeur et qu'il n'ait fias eu peur des mots, qu'il ait parlé avec une mâle franchise de ces heures tristes : heures brèves, grâce à l'humanité d'un chef pour qui « sévir » et « commander » n'ont jamais été des termes équivalents. — Le discours auquel je fais allusion n'est pas encore prononcé au moment où j'écris. J'anticipe, mais de peu : M. Paul Valéry me pardonnera mon indiscrétion. L'éloge du soldat, c'est un de ces morceaux d'un effet assuré, que nulle foule, ni même une assemblée mondaine et réduite comme celles que l'Académie française invite à ses réceptions, ne saurait écouter de sang-froid. Un peu de mélancolie tempérerait notre enthousiasme, si nous prenions garde aux étranges différences qui depuis Je début de l^gjurage jusqu'à l'a1 fin se sont tnarque'ès entre le soldat d'hier et celui d'avant-hier : quelles différences en core plus étranges nous présagent-elles entre le sol dat d'hier et celui d'un avenir prochain ? Ce nom de soldat, qui nous est si cher, et dont la sonorité verse un peu d'héroïsme à notre cœur bour geois, est l'un de ceux dont la signification exacte a plus curieusement varié au cours des siècles. Il a vite perdu le caractère désobligeant que lui prêtait d'abord son étymologie. Chacun sait que la solde est ce qui compte le moins pour le soldat et que ce n'est pas seulement « dans le service de l'Au triche que le militaire n'est pas riche ». Le don Sanche de Corneille se pare de « ce grand nom de soldat ». Pascal écrit : « Quelle différence entre un soldat et un chartreux quant à l'obéissance ? » Supprimez « quant à l'obéissance », et songez plu tôt à tous les autres renoncements, à toutes les épreuves, aux rapports enfin qu'il est trop aisé d'apercevoir entre un soldat de la patrie et un sol dat de Dieu : la formule de Pascal sera encore valable aujourd'hui. Mais mesurez le progrès, si j'ose dire, de Bayard, qui demande que l'usage de l'arbalète soit interdit, à la Société des Nations qui, pareillement naïve, se flatte d'interdire l'usage des gaz : si demain, -— on ne veut pas même y penser, — mais enfin, si demain il fallait encore se battre,.,esj-ce qu'on se battrait à proprement parler ? Et serait-ce. des sol dats qui feraient la guerre ? Abel Hermant, de l'Académie française....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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