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Le Figaro, 21 mars 1867

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Le Figaro
21 mars 1867


Extrait du journal

En lisant hier dans ce journal les détails des deux exécutions qui ont èu lieu la- même jour à Lyon et à Soissons, je suis arrivé à cette conviction que les con damnés à mort de Paris ont un avantage très marqué sur les misérables qui meurent sur Tes places publi ques des départements, parce que l'agonie du patient qui dure cliez nous en moyenne une demi-heure, se prolonger dans les déparlements au delà de toute me sure, par cette simple raison que toute ville de province n'a pas une prison aussi avantageusement située sur une place publique copime 1?. Roquette, et qu'il faut extraire le condamné de sa cellule pour le conduire à travers la ville sur un emplacement favorable où la foule puisse assister au sanglant spectacle. Le tempérament de celui qui écrit ces lignes ne le porte pas à une sympathie bien vive pour messieurs les assassins et cependant on ne peut se défendre d'une certaine,commisération, pour ces malheureux quand on lit dans les comptes rendus des journaux de pro vince tous les détails des dernières heures des condam nés à mort, qui subissent souvent leur châtiment à dix lieues de la prison où ils ont passé leur dernier jour. Je défie le plus chaud partisan de la peine de mort de lire la relation de l'exécution de Soissons «ans éprouver une profonde pitié -pour ce misérable con damné. ; , A Paris, il n'y a qu'un pas du galetas de la prison à la bascule fatale ; entre le dernier réveil du prisonnier et son dernier soupir il y a à peine "le temps de la réflexion : une cour à traverser... treize marches à monter et, grâce au perfectionnement apporté à la guillotine, tout est fini en un- instant. Mais on frissonne quand on lit le récit de l'agonie du condamné de Soissons que l'on réveille A minuit dans la priaon de Laon pour le conduire dans la nuit à tra vers la campagne dans une calèche qu'il a payée de ses deniers,— le prodigue! — sur la place publique de Soissons où il n'arrivera pas avant cinq heures du matin ! Cinq heures d'agonie ! A minuit, on lui a annoncé qu'à l'aube naissante tout sera fini. Il monte dans sa calèche, »et le voilà en route au milieu des ténèbres ; il voit pendant cinq heures la neige inonder la campagne ; pendant cinq heures il gre lotte et pleure en pensant que chaque tour des roues le rapproche de l'heure suprême. Ses yeux, rougis par les larmes, cherchent à découvrir dans les ténèbres un dernier souvenir de cette terre qu'il va quitter. La voi ture roule toujours; on traverse au grand trot des che vaux ces paisibles hameaux où tout dort encore ; on passe devant l'église, où la lampe éternelle brûle de vant l'autel; il ne voit rien-, sinon la guillotine qui se dresse menaçante à chaque détour du chemin, et à chaque seconde le malheureux se dit qu'il a une se conde de moins à vivre! C'est effroyable ! . ■ Que se passe-t-il dans le cerveau de cet homme;? Ah ! ?i la voiture pouvait tomber dans un fossé et se briser en route ! Il n'y a pas de danger! Les cochers qui con duisent les condamnés à mort sont plus adroits que les postillons de comédie ! La pensée du condamné est làbas sur la place publique, où l'attend la foule ! Il ne sait au juste à quelle heure il doit mourir ! Dame! une heure de plus ou d,e moins, c'est toute une éternité dans ces moments ! Il compte les minutes, les secon des ; si la voiture s'arrête au relais, il frissonne et de mande s'il est arrivé! Quand les fers des chevaux re tentissent sur le pavé d'une petite ville, il-tremble,car il croit entrer à Soissons! Point ! il y a encore du chemin à faire .et l'agonie n'est pas finie ! Il neige ! la tempête gronde... le vent est glacial... il faut faire trois ou quatre lieues encore sans espoir aucun! Rien ne pourra arrêter la justice ou prolonger d'une heure la vie du condamné. Le bourreau est connu pour son exactitude!...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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