Extrait du journal

J'arrive sur La place de la Bastille, à Paris, exactement par la rue de la Roquet, te. La place est déserte- La colonne, au milieu, semble intacte Mais toutes les maisons qui entourent la place m'apparaissent comme des masses de décombres charbonneux, non pas fumants, déjà froids. Je traverse la place à pas lents ën proie à une douleur sans mesure. J'ai raconté ces quelques rêves non, sans doute, pour le plaisir, probablement, sans résonance, "de faire, des peintures ^ab surdes, et non pas davantage pour imiter mon maître Descartes jusqu'en ses égare ments. J'ai raconté ces quelques reves pour dire, en toute bonne foi, que je ne leur découvre, expérience faite, aucune va leur d'avertissement. Quand j'ai fait, il y a quelques années, le rêve de la Bastille, nous avions déjà de graves raisons d'in quiétude. Nous pensions presque chaque jour au bombardement de Paris et nous tentions d'en imaginer les effets. Si le rêve avait pouvoir de nous révéler par avance des choses extraordinaires, ce • rêve de la Bastille aurait vraiment peu d'intérêt ou, si l'on veut, peu de mérites' Mais .quelle image au fusain ! Quelle force ! Quelle noirceur ! Si je savais dessiner, je-pour, rais, de mémoire, donner de cette vision une représentation précise et terrifiante. Le reve de la guerre — 1918, je crois — est un rêve professionnel. J'en faisais jeaucoup alors. J'en ai, parfois, que je dois à mon rnétier d'écrivain. Ils sont hor ribles et languissants. Us n'ont pas, nécefr sairement, le caractère tragique du rêve chirurgical. Cela dit, j'ajoute que j'ai sau vent soigné ma mère, mais que je n'ai jamais eu, grâce au ciel, lieu de l'opérer. L'image reste encore très forte : elle était dépourvue de toute signification, je le vois bien aujourd'hui Le rêve de la fin du monde m a pré venu, .m'a instruit, si; j ose ainsi parler, J'ai, ,par là suite, assiste à certaines catas trophes, avec, toujours, le ^sentiment d avoir — dans mon autre vie — connu plus terrible encore. Et c'est tout ce que j en peux dire. Et je juge pareillement le son ge de ma petite enfance, celui des animaux féroces. On m'objectera peut-être que je n'ai pas encore fini de vivre, que je peux recevoir, par la suite des événements, quel que justification de ces fantasmagories obscures. Franchement, je ne le crois pas....