Extrait du journal

Ensuite, le travail était borné à six heures par jour en moyenne. Le brouillard nuisait à' la transmission, èt aussi les grandes cha leurs, à cause des ondulations qu'elles produisaient dans l'atmo sphère. Nombre d'expériences tentées pour la télégraphie de nuit avaient échoué. On se rappelle les dépêches officielles du temps invariablement terminées par ces mots : interrompuè par le brouillard. Je vois encore celle que le préfet de la Dordogne fit afficher sur les murs de Périgueux le 24 février 1848. Elle nous arrivait d'Angoulême, illustrée de plusieurs lignes de points, et concluait par les mots sa cramentels placés juste à l'endroit le plus intéressant. J'étais enfant alors et je trouvais qu'une révolution interrompue par le brouillard, ce n'était pas clair. * Ah l. le brouillard 1 s'il était maudit diç reste de la terre, il était béni des employés. Ile l'attendaient, ils ï«spéraient, ils auraient voulu en faire I Car le brouillard, pour eux, c'était la liberté. C'était bien d'autres choses encore : le repos d'abord, et la pipe fumée pai siblement au pied de la tour solitaire, et lè plaisir de jardiner dans le petit enclos orné de légumes qui entourait le bâtiment. Mieux que tout cela, c'était la chasse ! Quand ce bienheureux brouillard s'étendait, âcre et dense, sur la plaine, le stationnaire appelait cela une belle journée; il prenait son fusil, sifflait Stop et se disait que le moment était venu d'aller tuer un lièvre. Il n'est personne qui, en parcourant la campagne, n'ait rencontré ces tours de télégraphe bâties sur les plateaux, en pleins champs, en pleines forêts. On comprend que loin du monde, enchaîné à son poste, le malheureux employé n'eût qu'un ami, son chien, et qu'un lève, le brouillard. Ce n'était pas, on le voit, la perfection même que la machine de Chappe. On l'a regrettée cependant, comme on regrette tout ce qui s'en va, sans savoir pourquoi. Elle était l'objet d'une vénération su perstitieuse. La butte Montmartre a conservé la sienne longtemps après l'établissement de la télégraphie électrique, et sur les tours de Saint-Sulpice on voyait hier encore la dernière de toutes, avec ses ailes noires immobiles et comme affaissées sous une incurable mé lancolie. On a hésité à la démolir; il temblait qu'on allait com mettre un sacrilège. On avait fini par lui prêter une existence per sonnelle, à la voir parler et s'agiter sans relâche depuis tant d'an nées. Sans relâche ... j'ai dit combien il fallait en rabattre. Enfin, sa destruction fut décidée. Ajoutons qu'au moment où la télégraphie aérienne allait dispa raître de France, elle naissait en Afrique (1844) pour n'y céder la place à sa rivale qu'en 1859, et, pour noter ses dernières pulsations, disons qu'elle donna en Crimée les signes ultimes de sa vitalité. Elle tomba avec Sébastopol....