Extrait du journal
tout bouillant. Mais la preuve, c'est que les marais sont encore là. Il avait conscience de la supériorité que confère le don oratoire à ses privi légiés. Car il avait un éloignement natu rel pour les raisons et les réalités."Maire du chef-lieu de son arrondissement par surcroît, il se fiait pour l'administration à ses facultés d'improvisateur. On devait discuter un jour l'adjudication d'un im meuble. Un cahier des charges avait été dressé. Un membre -du Conseil, homme d'affaires avisé et prudent, lui tend ce cahier des charges avant la séance avec cet avertissement : — Il faudrait l'étudier. C'est assez compliqué. Si vous voulez, je le connais et vous le résumerai. La réponse ne se fit pas attendre : — Inutile, mon cher collègue, j'ai l'ha bitude de la parole. Je l'ai vu moi-même porté sur une ta ble par des électeurs exaltés. Je me rap pelle sa figure inquiète. Il était gras et bien nourri, avec un teint rose, et il ai mait à digérer dans le calme. Il s'efforçait de croire qu'il vivait une heure gran diose, tout en désirant que la foule fût moins exagérée dans ses manifestations sympathiques, afin que la table fût moins ballottée. Des femmes, stupides à vrai dire, lui présentaient leurs petits enfants, et il ne savait qu'en faire. Mais quand ce fut mon tour de récolter quelques accla mations, ces images cessèrent de provo quer mes moqueries, et je les disposais autrement. Lorsque mon mandat expira, je ne concevais aucun doute sur "ma réélection. N'avais-je pas réussi à diminuer la dette communale par une habile direction, et ne pouvais-je compter sur la reconnais sance publique? La commune, en effet, ne me marchanda pas sa sympathie. Je présidais en personne au dépouillement du scrutin, et sur chaque bulletin je pus lire mon nom. Mais j'avais compté sans une machination de cabaret. Le dimanche suivant, les douze nou veaux élus du Conseil municipal de vaient choisir le maire, parmi eux. Quand j'arrivai, à la mairie, mes onze collègues s'y trouvaient déjà rassemblés. Le secré taire me tendit une liasse de papiers. C'étaient des signatures à donner. Je re poussai le paquet : —Attendez quelques instants, je ne suis plus que l'ancien maire. Le nouveau si gnera. — Oh! le nouveau maire... dirent,les onze en chœur. Ce sera le même que l'ancien. Sur cette unanimité on vota. J'eus trois voix. Mon successeur, désigné^s^ppelait Barbassoi). ' Fort déconfit, je m'en allai. Sur le che min je trouvai le garde champêtre que j'avais appelé moi-même à ce poste et qui m'était dévoué. C'était un petit homme dont la taille mesurait à peine un mètre cinquante et qu'on ne voyait pas venir de loin, ce qui le rendait re doutable aux délinquants. Il disposait de vant la mairie ces pièces d'artifice qu'on appelle des boîtes a la campagne et qui font un grand tintamarre avec beaucoup de fumée. Courbé, il se redressa aussi haut qu'il put et m'interrogea : — Vous partez, monsieur le maire ? •— Je ne suis plus maire, mon ami. — Ah ! vous n'êtes plus maire ! Il prit aussitôt ses boîtes disposées en bon ordre et se mit en.devoir de les dé ménager. — Que fais-tu là ? — Vous voyez : je les emporte. — Ecoute, c'est mon dernier ordre : replace ces machines-là, et tire - les. Je veux les entendre. Des bois de chênes je les entendis en effet. Le garde, ayant réfléchi, m'avait écouté. Et l'on m'assura qu'il avait dit le soir au café où mon successeur l'avait invité : — Oh ! l'ancien maire (l'ancien maire, c'était moi),il ne voulait pas que je tire les boîtes. Mais je les ai tirées quand même. Et c'est ainsi que le suffrage universel, m'ayant exalté et humilié tour à tour, m'a laissé le goût des hommes dont les actions bigarrées constituent un spec tacle tantôt divertissant et tantôt suscep tible d'émouvoir et de retenir le cœur. Henry Bordeaux....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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