Extrait du journal
Chaque jour nous apporte un nouvel élément de tragique. Il semble que les appareils sensibles que l'homme vient à peine d'inventer pour saisir aux quatre coins du monde les images et les sons, pour capter les ondes et le rythme de la vie, n'aient été réalisés que pour nous aider à percevoir plus nettement ce qui de toute part nous menace, pour nous faire comprendre combien le progrès dont nous nous enorgueillissons est quelque chose de fragile et de précaire ! Tandis que chante la Tour Eiffel, tout croule autour de nous : le prestige de l'Amérique, les fabu leux trésors de,l'Asie, la vieille civilisation euro péenne ! Une affreuse barbarie fond sur l'univers l Si, comme tout porte à le croire, l'incendie du Georges-Philippar est un crime, il dépasse en hor reur ce que l'imagination pouvait concevoir I Et cependant, un pareil attentat contre l'humanité est dans le droit fil de la pensée d'un Bismarck ou' d'un Lenine ! Le Chancelier de fer, qui voulait ren dre la guerre si atroce que son horreur paralysât l'adversaire, devançait le catéchisme du dictateur moscovite, dont le premier article est l'emploi de la terreur pour jeter le désordre dans les rangs adver ses. Il y a dans le génie de la Prusse et dans celui qui anime la révolution bolchevique une même ins piration démoniaque, dont on est bien forcé de re trouver la marque dans l'assassinat du Président Doumer, comme dans la catastrophe du GeorgesPhilippar... Mais, je ne sais pas s'il n'y a pas quelque chose de plus satanique encore que ces crimes éclatants, je veux dire le lent travail de décomposition entre pris sur l'âme française, le cheminement souterrain des puissances adverses, la façon dont se trouve miné ce qui reste chez nous de forces sociales. On commence seulement aujourd'hui, après les élections, à se rendre compte à quel point le briandisme, c'est-à-dire l'esprit de non-résistance, le goût de la commodité, a empoisonné notre pays ! Mais le mal date de loin, du lendemain de l'armistice, où l'on a commencé à dépouiller l'âme du vainqueur de tout caractère cornélien, où l'on nous a tour à tour endormis et grisés, où l'école et la politique se sont alliées pour enseigner à tout Français que « l'Etat, constitué par l'universalité des individus, n'ayant d'autre but que le bonheur des individus, entendu comme les individus l'entendent, doit s'in terdire toute visée au delà de ce que conçoit et sent l'universalité des individus ! » Sous l'influence de ce principe démocratique, nous avons vu les héros de la veille se cantonner dans la poursuite du bienêtre, et la nation, la patrie, la France enfin, perdre chaque jour quelque chose de son autorité et de sa forte cohésion. Qu'est-ce qu'une société comme celle que nous promettent les professions de foi des vainqueurs du 8 mai, où le désintéressement n'a plus de sens, où chacun s'abandonne à son intérêt immédiat, où le confort devient le but de la vie, et où l'honneur n'a plus de prix ? Nous nous acheminons peut-être vers ce qu'Anatole France appelait la vraie République, « celle qui n'est pas la liberté, mais la facilité ! » Mais devant un ennemi audacieux, décidé à ne re culer devant rien, pour lequel toutes les armes sont bonnes et qui naturellement choisit les plus abomi nables, les plus terrifiantes, quel peut être le destin d'un peuple au cœur éteint, qui a rompu ses rangs et renié ses chefs !... II est affreux de voir comment notre pays a ac cueilli les avertissements que de trop bons prophètes, hélas ! lui ont prodigués ; comment ont été reçus ceux qui ont eu le courage de juger, de comprendre, de dire la vérité, ceux qui ont essayé d'illuminer notre voie des sombres lueurs de l'avenir ! Nous connaissons ici ce que peut être l'amertume de Cassandre !... L'Ami du Peuple publie aujourd'hui de pathétiques réflexions et un acte de foi dans son fondateur auquel nous nous associons de toutes nos forces. Nous ne sommes pas de ceux qu'on détourne de servir. Le chef qui nous mène au combat n'a jamais compris la passivité de ces hommes politiques qui subissent lâchement un échec sous prétexte qu'on n'y peut rien changer ! Plus les temps seront durs, plus notre résistance sera ferme. Plus les circonstances paraîtront hostiles plus nous nous obstinerons à répéter à nos compatrio tes l'encourageante maxime de La Rochefoucauld : « Il n'y a point d'accident si malheureux dont les gens habiles ne tirent quelque avantage, ni de si heureux que les imprudents ne puissent tourner à leur préjudice »....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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