Extrait du journal

avait des œufs en sucre dans les vitrines, sans qu'on ait jamais compris pourquo; ce fait les forçait à voyager. • Les uns ont vu des banlieues ; les autres des chemins d'intérêt très.commun ; plusieurs ont gravi des pics; et d'autres nous ont en voyé par carte postale .la gare de Toulon. Ils ..ont'eu tort de se déranger pour voir cela. \ oda ! le journal nous a donné l'autre jour ujie tansse nouvelle. 11 annonçait deux cent mille Parisiens disparus. C'est une fausse joie. Ils reviennent. , Ils sont la ; ils sont un peu las ; ils ont repris leur bonne pipe ; ils ont aussi leur bon chien ; et leur femme est déjà sortie faire des courses ; ils sont heureux. A ce propos, permettez-vous qu'on raconte une histoire, plus remplie de sens, peut-être, qu'elle n'en a l'air ? « Il était une fois un jeune Anglais qui s'ennuyait dans son pays natal.' Il habitait une petite chambre d'hôtel, qui -donnait sur une rue assez sombre et triste. Et différent en cela des autres Anglais, il était las du -bacon and eggs national. Mais pareil aux au tres fils de cette île entourée d'eau de toutes parts, il sentait en lui ce besoin qu'ils appel lent du joli mot de wandcrlust, le goût du voyag-e. le désir- d'autres .rives, l'amour d'au tres Horizons... - » Du génie entra dans sa chambre, sans s'être fait annoncer, et lui dit, comme dans Michel Strogofj : — Demain, tu seras loin d'ici, à l'Est, et ton goût sera satisfait. » Le lendemain, le jeune homme se réveilla à Stockholm. Le pa\Ts lui parut sombre. Çi'était le Nord. Ce n'était pas la lumière rêvée. Il soupira. ; C'est bien, dit le génie. Demain, tu se ras dans le Midi ! ./ » Et le lendemain, le jeune homme se ré veilla à Bordighera. Il pleuvait. » Il soupira encore, et vit entrer le génie qui l'invitait à de nouveaux voyages. » Jour après jour, il changeait ainsi de place, et il ignorait toujours où il serait le lendemain ! » Rien n'apaisait le désir qu'il avait de trouver l'endroit propice au repos de son cœur. » Tout.en lui le forçait à demander au gé nie un nouveau décor, un nouveau voyage, un nouvel essai de bonheur. » La Méditerranée traîtresse l'avait secoué; la: cuisine italienne l'avait rempli de déses poir ; Alger lui déplut, et l'Orient lui parut d'une saleté et d'un désordre repoussants. » A Aden, il-acheta un tapis faux pour une forte somme; à Bombay, le bruit des sifflets de, navires lui donna la migraine. A Zanzi bar, il acheta ce qui était de la pâte tue-mites et qu'il crut être une spécialité culinaire, et il -jugea mal les maisons de conserves. En Australie,.il.fut piqué par un petit serpent, et il eût donné tout l'Empire britannique pour deux pence. Par Samoa et le Canada vert tout cou vert de hêtres, il échoua un jour à l'île de Ré. Sa mélancolie était indicible. « Et puis, le matin suivant, il se réveilla dans une petite chambre, au soleil. Devant lui, un calme square où les jardins étaient posés com me .des tapis. De bons livres, de bonnes ciga rettes formaient un heureux entourage à la vieille cheminée : plafond clair, drap vert sombre, .boiseries, briques rouges... Les pas sants lisaient le Times, et les affiches par laient anglais... — Où suis-je? — Tu es, dit le génie, revenu au petit hô tel. Mais ta chambre est maintenant sur le square. Quand on quitte une maison pour faire le tour du monde, on y revient forcé ment par l'autre côté... » Le-jeune homme s'assit au soleil. Il était heureux. Il avait retrouvé ses habitudes. » Et c'est ainsi que, lorsqu'on habite une pe tite rue noire qui -regardé sur le côté sombre de la vie, if suffirait souvent de connaître sa maison pour savoir qu'une de ses façades, au moins, est ouverte à la lumière. Hervé Lauwick....