Extrait du journal

Voici que l'on reparle du tain-mystère, et je crois bien que c'est ainsi qu'on le nomme ; et si les plai santeries les meilleures sont les plus courtes, il con vient de saluer pourtant cette invention, puisqu'elle dure, encore qu'elle demeure assez plaisante. Vous connaissez l'histoire, qui n'est d'ailleurs pas un conte: en Angleterre, les jours de fête, il est un train qui part à une heure déterminée et où les voyageurs peuvent prendre place, pourvu qu'ils aient eu soin de se munir d'un billet que l'on vend au guichet dè la gare. Vous me direz que de ces trains, il n'en manque pas chez nous, et que de ce côté de la Manche, les honnêtes gens ont également accoutumé de prendre un billet, avant de monter en wagon. D'accord ! Mais ce fameux train anglais, nul ne sait, sinon le mécanicién, je pense, où il ira ; et nous voici donc en plein mystère. Vous me répondrez qu'en considérant le prix du billet et en supposant que la compagnie de chemin de fer ne compte point marquer une générosité par ticulière aux personnes qu'elle entreprend de trans porter, il n'est point trop malaisé de définir la dis tance que parcourra la locomotive et les wagons soumis, qui la suivent aveuglément, à travers les campagnes riiëlancoliques ou ensoleillées. Oh éta blirait ainsi le lieu géométrique des points que pour rait atteindre le convoi, et ce serait une aimable cir conférence, dont le rayon serait fonction du prix versé par les voyageurs, et qui aurait son centre à la gare de départ. Solution assez flottante, d'ail leurs, les circonférences étant formées de points qui sont en nombre infini ; et solution assez déplorable, en outre, car le train, au lieu de se mouvoir en ligne droite, pourrait errer toute la journée dans le cercle que nous venons de peindre, sans jamais en attein dre le bord. Qui l'empêcherait de tourner quasi en rond, dans un petit espace, comme les trains de nos foires, ou comme les chevaux de bois, qui sont une grande source de réjouissance et de paix spirituelle? Tournez, tournez, bons chevaux de bois. Mais Paul Verlaine l'a déjà dit. Voulez-vous prendre le tain-mystère ? Au de meurant, nous le prenons tous les jours et sans qu'il soit besoin de rails ni de charbon, pour que notre quotidienne destinée se déroule. Savons-nous bien où nous serons ce soir ? Mais cette invention bri tannique nous enseigne. Elle nous dit, ou nous redit que les humains ont le goût de l'inconnu. Emportemoi, wagon ; enlève-moi, frégate... Ils ont tous, sous leur veston, un peu du cœur de Christophe Colomb. Ils chérissent l'aventure. Mais ils ne tiennent pour tant pas du tout à risquer de périr pour rassasier leur fantaisie. „ Il ne faut donc point s'étonner que ces amoureux de la liberté aiment à se laisser conduire. Us ont plaisir à se soumettre. Ils pensent que le mécanicien est un brave homme et ils savent d'ailleurs que les rails ne vont point sous la mer. Ils connaissent que l'administration des chemins de fer ne se divertira point à organiser quelque terrible déraillement et que l'itinéraire secret du voyage a été soumis, dès le jeudi, • au ministère compétent. Us ressemblent à ces spectateurs qui montent sur l'estrade du faiseur de tours. Us sont curieux ; ils veulent voir. Le presti digitateur a un grand sabre. Leur coupera-t-il vrai ment la tête ? Mais non. Il paie patente. Tristan Derème....