Extrait du journal
— Te souvient-il, me dit mon ami le meil leur, des Tenailles de Paul Hervieu, qui furent représentées pour la première fois, à la Comé die-Française, le 28 septembre 1895 ? — « Pourquoi veux-tu qu'il m'en sou vienne... », pardon: comment veux:tu -qu'il ne m'en sbuvîenne1 pas, s'il t'en souviént ? — C'est juste... Il y a, dans cette tragédie bourgeoise, un mari, Robert Fergan, que sa femme, Irène, ne peut pas voir en peinture. La sœur d'Irène, Pauline, demande à celle-ci: « Enfin, qu'est-ce que tu lui reproches ? » Et Irène répond « avec force » : « Je lui en veux de ne pas l'aimer. » Mais elle a un motif plus sérieux , de lui en vouloir, qu'elle expose peu après : « En se levant le matin, il est déjà prêt à avoir raison toute la journée. Il a raison avec les domestiques, avec ses chevaux, avec n'importe qui. Dans toutes les histoires qu'il rapporte, il y a toujours quel qu'un qui avait tort,* et lui-qui avait raison. » Au troisième acte, Pauline elle-même ne peut s'empêcher de dire à son beau-frère" : « Est-ce que ça ne, vous fatigue pas d'être toujours à cheval sur votre droit ? » .— Où veux-tu en venir ? — A ceci. Ne te semble-t-il pas que ce Robert Fergan a étrangement grandi à l'insu de l'auteur qui l'a créé ? Que, de personnage d'Hervieu, il est devenu personnage de Piran dello, symbole , humain, vivante allégorie ? Enfin, n'est-il pas le Français, avec une F majuscule, le Français qui a raison du matin au soir, quelquefois la nuit, et qui n'en revient pas quand les autres peuples, lui font voir que si ça ne le fatigue pas, lui, d'être tou jours, à cheval sur son droit, ça leur donne, à eux, terriblement sur les nerfs •? — A mon tour, dis-je. Te rappelles-tu ce chauffeur que tu as gardé cinq ans malgré les objurgations de tes amis ? On te disait : « Il vous tuera. » Ce n'était pas qu'il con duisît plus mal qu'un autre. Ni mieux ni plus mal. Mais il était à cheval sur son droit, en l'es pèce sur les règlements de la circulation. Il les observait à la lettre; sans aucun égard aux circonstances. Rien ne l'eût fait résoudre de céder le pas à'une voiture arrivant par sa gauche au train de course, quand il était luimême au ralenti. Il se mettait bravement en travers. Le choc avait lieu ; et si tu te per mettais une timide observation, il te répondait avec fierté : « Ce n'est pas moi qui,la mérite, c'est l'autre. Pourquoi s'est-il obstiné à passer quand il venait sur ma gauche ? Qu'est-ce que vous pariez que l'agent me donnera raison ? — Oui, disais-tu avec ta philoso phie coutumière ; mais l'agent s'en moque, l'autre n'est pas à mon service et, en atten dant, je n'ai plus de marchepied que d'un côté, les deux ailes de gauche, avant et arrière, sont en tire-bouchon, toutes les glaces sont brisées. J'aimerais beaucoup mieux que vous fussiez dans votre tort et que ma voiture ne fût pas démolie. » Comme il te regardait de haut en bas quand tu tenais ce langage rai sonnable,- mais qui n'était pas celui de la raison, de la raison pure ! Tu as fini par te formaliser.de ses mépris et tu l'as envoyé se faire tuer ailleurs : cela n'a pas traîné. Son nouveau patron y a passé avec lui. Eh bien, ne crois-tu pas que ton chauffeur était, au même titre que le mari des Tenailles, un symbole du Français toujours entêté d'avoir raison, et qui croirait avoir perdu1 sa journée s'il n'avait revendiqué contre X... tel ou tel de ses droits ? Ce héros — c'est du chauf feur que je parle — préférait de risquer sa peau, et par la même occasion la tienne, plutôt que de souffrir la moindre oipbre d'injustice. C'est assez bête, mais c'est assez beau. Enfin, il observait les règlements à la lettre, comme les employés des chemins de-fer ou des postes qui font une grève perlée. C'est aussi comme nous appliquons nos grands principes. Méfionsnous de la raison perlée. Abel Hermant, de l'Académie française....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
En savoir plus Données de classification - dautry
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