Extrait du journal

Vous comprenez, mademoiselle, l'idée merveilleuse de mon ami Balanchard. Au fond; c'est un rusé per sonnage. Il veut bien enterrer dignement la gaieté française, et c'est là le vœu d'un bon patriote, mais il ne lui déplaît pas d'empocher les frais de l'enterre ment. • Son entreprise était un coup de génie. Les entrepre neurs de bals publics en comprirent tout de suite le mécanisme ingénieux. Ils devinrent tous clients de Balanchard. Leurs salles de bal se vidaient ; à peine voyait-on quelques ombres y danser encore, aux sons d'une musique mourante. Un homme gai est, de nos jours, un phénomène si étonnant, que tout Paris allait certainement accourir, si on parvenait à lui montrer une centaine d'hommes gais à la fois. Et voilà comment notre rire n'est pas encore mort. Tout homme qui danse, tout homme qui rit est un homme à Balanchard. Dites-vous, mademoiselle, dans votre petit lit'de pensionnaire, lorsque les éclats du bal voisin vous tiennent éveillée et songeuse, que la vente du rire marche bien dans la boutique d'à côté....