Extrait du journal
Candide, parce qu'il était courtois, Martin, par ce qu'il croyait ne point tenir à la vie, n'avaient ni l'un ni l'autre voulu disputer aux femmes et aux enfants les canots de sauvetage. Mais, après s'être dépouillés de leurs vêtements, ils s'étaient mu nis de ceintures et bravement jetés à l'eau. Ils ga gnèrent sans trop de peine la côte, qui n'eût offert que peu d'attraits à des amateurs de campagne, mais qu iparut bien agréable à ces pauvres naufra gés. Des empreintes de pieds nus, sur le sable fin et humide, leur témoignèrent d'abord que l'endroit n'était pas inhabité. Candide s'écria : — Nous devons avant toute chose rendre grâ ces à la Providence qui nous a tires d'un si mau vais pas, et vraiment dans les conditions les,nieilleures. Ceux de nos compagnons d infortune qui ont trouvé place à bord des embarcations de secours sont, à l'heure présente, encore le jouet de la tem pête ; ou bien, s'ils ont pu etre recueillis sur quel que gros navire, ils sont la proie des nouvellistes. Nous y voici bien tranquilles en pays sauvage : nous ne tarderons pas à voir accourir de bons indigènes, qui, plus proches que nous de la nature, ont néces sairement toutes les vertus, et comme aux âges pri mitifs exercent l'hospitalité. — Ne vous y fiez pas, dit Martin. Outre que le préjugé de la bonté native de l'homme est de nos jours fort contesté, voire tourné en dérision, et que l'on ne croit plus guère à la vertu des peuplades demeurées primitives, celle chez qui la vague nous a portés vous ménage sans doute les plus cruelles déceptions. J'ai consulté la carte, peu avant notre accident : nous sommes tombés, si je ne me trompe, sur des sauvages sans délicatesse qui se nourrissent de chair humaine. Tout cela va finir à bref délai par un bon repas, dont nous ferons les frais. Comme il disait ces mots, soudain les deux amis se virent entourés de gaillards superbes, qui n'avaient d'autre couleur que les ténèbres, comme a dit le philosophe Descartes pour définir le noir absolu. Ils étaient aussi parfaitement nus que Candide et que Martin, et ils brandissaient des lances d'une lon gueur démesurée, mais dont ils ne semblaient se ser vir que pour faire des démonstrations de politesse, comme'à la salle d^armes,-quand on salue de Tépée avant l'assaut. Le chef de la troupe adressa la pa role à Candide et à Martin, qui ne le comprirent point, parce qu'ils ne s'aperçurent pas d'abord qu'il usait d'un anglais fort correct. Quand ce petit ma lentendu fut dissipé, le chef reprit : — Messieurs, êtes-vous des naufragés ? — Oui, dirent ensemble Martin et Candide. — Je vous en félicite, dit le chef, tout en le re grettant un peu pour nous. Voilà tantôt deux mois que nous manquons de chair humaine, et c'est une grande privation ; mais nous avons conclu avec Sa Majesté britannique un arrangement, aux termes du quel toutes les épaves qui viennent échouer sur ces rivages nous appartiennent de droit, pourvu que nous respections la vie des naufragés. La vôtre nous est donc sacrée. Ne nous remerciez pas, c'est la moindre des choses et le profit est pour nous. Nous subviendrons à vos besoins tant que vous sé journerez ici. Nous nous ferions aussi un plaisir de vous procurer des vêtements, qui doivent bien vous faire défaut ; mais comme vous le pouvez voir, nous n'avons pas l'usage d'en porter, excusez-nous. Après ce petit discours, il fit un signe à ses homnmes et se retira, avec une discrétion qui montrait assez qu'il avait reçu l'éducation anglaise. — Eh bien, dit Candide, nierez-vous plus long temps que les hommes dp la nature aient toutes les vertus, et notamment celle de là probité ? N'estil pas admirable que ces anthropophages tiennent leurs engagements à la rigueur, alors que, s'ils nous mangeaient, il n'y aurait assurément personne pour les aller dénoncer à Sa Majesté britannique ? Martin n'avait pas eu le temps de répondre qu'ils virent flotter tout près du bord une charogne rougeâtre. — Dieu soit loué ! s'écria Candide. C'est mon dernier mouton, encore tout chargé de gros dia mants d'Eldorado. Nous n'échapperons pas seule ment à la mort, mais aussi à la pauvreté. — Pardon, il faut choisi)-, dit Martin. Ce mouton n'est plus à vous, mais à ces braves gens qui nous épargnent. Un homme de votre culture peut-il don ner à des sauvages le mauvais exemple de violer la foi des traités ? Abel Hermant, de l'Académie française....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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