Extrait du journal
ble dans la nuit s’étre rapproché de terre, il tombe par flocons une peluche blanche et silencieuse comme sous les cotonniers... Voilà l’hiver, voilà l’hiver ! Le vent siffle, les poêles ronflent. Dans leur grande cage en treillis doré, les colibris ne gazouillent plus. Leurs petites ailes bleues, roses, ru bis, vert de mer, restent immobiles, et c est pitié de les voir se serrer les uns contre les autres, engourdis et bouffis par le froid avec leurs lices fins et leurs yeux en tête d’épingle. Là-bas, au fond du parc, le hamac grelotte plein de givre, et les branches des sapins sont en verre filé... La petite créole a froid, elle ne veut plus sor tir. Pelotonnée au coin du feu comme un de scs oiseaux, elle passe son temps à regarder la flamme et se fait du soleil avec ses sou venirs. Dans la grande cheminée lumineuse et brûlante, elle revoit tout son pays : les larges quais pleins de soleil avec le sucre brun des cannes qui ruisselle, et les grains de maïs flottant dans une poussière dorée, puis les siestes d'après-midi, les stores clairs, les nattes de paille, puis les soirs d'étoiles, les mouches enflammées, et des millions de petites ailes qui bourdonnent entre les fleurs et dans les mailles de tulle des moustiquaires. Et tandis qu’elle rêve ainsi devant la flamme, les jours d’hiver se succèdent tou jours plus courts, toujours plus noirs. Tous les matins on ramasse un colibri mort dans laçage; bientôt il n’en reste plus que deux, deux'flocons de plumes vertes qui se hé rissent l’un contre l’autre dans un coin... Ce matin-là, la petite créole n'a pas pu se lever. Comme une balancelle mahonnaise prise dans les glaces du Nord, le froid l’étreint, la paralyse. Il fait sombre, la chambre est triste. Le givre a mis sur les vitres un épais rideau de soie mate. La ville semble morte, et, par les rues silen cieuses, le chasse-neige à vapeur siffle la mentablement... Dans son lit, pour se dis traire, la créole fait luire les paillettes de son éventail et passe son temps à se regar der dans des miroirs de son pays, tout frangés de grandes plumes indiennes. Toujours plus courts, toujours plus noirs, les jours d’hiver se succèdent. Dans ses courtines de dentelles, la petite créole lan guit, se désole. Ce qui l’attriste surtout, c’est que de son lit elle ne peut pas voir le feu. I| lui semble cju’elle a perdu sa patrie une seconde fuis... lie temps en temps elle demande : « Estrce qu’il y a du feu dans la chambre? — Mais oui, petite, il y en a. La cheminée est tout en flammes, Entendstu pétiller le bois, et les pommes de pin qui éclatent? Oh! voyons, voyons. » Mais elle 4 beau sc pencher, la flamme est trop loin d’elle ; elle ne peut pas la voir, et çeja la désespère. Or, un soir qu’elle est là, pen sive et pâle, sa tête au bord de l’oreiller et les yeux toujours tournés vers cette belle flamme invisible, son ami s’approche d’elle, prend un dus tWQh-s qui sont sur le lit : « Tu veux voir le feu, mignonne... Eh bien I attends,,. » Et s’agenouillant devant la cheminée, il essaye do lui envoyer avec son miroir un reflet de la flamme magique : « Peut-tu le voir ? — Non ! Je ne vois rien. — Et maintenant... — Nonl pas encore.. » Puis toqt à coun, recevant en plein visage un jet de lumière qui i'envolopjie : « Oh! le le vois I » dit la créole toute joyeuse, et elle meurt en riant avec deux petites flammes au fond des yeux....
À propos
Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.
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