Extrait du journal
N ont-elles donc pas l’attirance de visions très pâles et très éthérées, les petites poitrinaires qui se meurent en réclamant, elles aussi, beaucoup d’a mour? X isions certes, car à peine em brassées, elles disparaissent, secouées en quelque suprême étreinte, laissant leur vie sur les lèvres du bien aimé.. . Oh! boire ce dernier souffle, et tenir un instant la Mort dans ses bras. Le mariage noir, le voilà ! Assurément ce n’est pas une scène pour la Comédie Française, comme le Mariage Blanc. Mais quelle étude, à réaliser d’abord, puis à écrire, pour un jeune, décadent ou symboliste. . . Pauvres petites poitrinaires. Elles se meurent, et la désespérance de mourir vierges, sans avoir satisfait leur faim de caresses, les tue plus cruellement que les bacilles. Si des sanglots parfois montent à leurs bouches, si des révoltes les secouent, oh! ce n’est point contre la mort qu’elles exhalent leur impuis sante rage, c’est contre l’amour, l’amour qui ne vient pas, l’amour que leur chair réclame, qui les sauverait peut-être, ou qui, du moins, ferait de leur agonie une aurore ensoleillée... SAPHO. SOUVENIRS Je suis allé aux Halles, une de ces der nières nuits. Paris est inorne à ces heures matinales. On ne lui a point encore fait un bout de toilette. Il ressemble à quelque vaste salle à manger toute tiède, toute grasse du repas de la veille ; des os traînent, des ordures encombrent la nappe sale des pavés. Les maîtres se sont couchés sans faire desservir ; et, le matin seulement, la servante donne un coup de balai, met du linge propre pour le déjeuner. Aux Halles, le vacarme est grand. C’est l’office colossal où s’engoufre la nourriture de Paris endormi. Quand il ouvrira les yeux, il aura déjà le ventre plein. Dans les clartés frissonnantes du matin, au milieu du grouillement de la foule, s’entassent des quartiers rouges de viande, des paniers de poissons qui luisent avec des éclairs d’ar gent, des montagnes de légumes piquant Vombre de taches blanches et vertes. C’est un éboulement de mangeailles, des char rettes vidées sur le pavé, des caisses éventrées, des sacs ouverts, laissant couler leur contenu, un flot montant de salades, d’œufs, de fruits, de volailles, qui menacent de ga gner les rues voisines et d’inonder Paris entier. J’allais curieusement au milieu de ce tohu-bohu, lorsque j’ai aperçu des femmes qui fouillaient à pleines mains dans de larges tas noirâtres, étalés sur le carreau. Les lueurs des lanternes dansaient, je dis tinguais mal, et j’ai cru d’abord que c’était des débris de viande qu’on vendait au ra bais. Je me suis approché. Les tas de débris de viande étaient des tas de roses. * * * Tout le printemps des rues de Paris traîne sur ce carreau boueux, parmi les mangeailles des Halles. Les jours de grande fête, la vente commence à deux heures du matin. Les jardiniers de la banlieue apportent leurs fleurs par grosses bottes. Les bottes, suivant la saison, ont un prix courant, comme les poireaux et les navets. Cette vente est une œuvre de nuit. Les reven deuses, les petites marchandes, qui en foncent leurs bras jusqu'aux coudes dans des charretées de roses, ont l’air de faire un mauvais coup, de tremper leurs mains au fond de quelque besogne sanglante. C’est affaire de toilette. Les bœufs évedtrés qui saignent seront lavés, tatoués ne guirlandes, ornés de fleurs artificielles ; les roses qu’on foule aux pieds, montées sur des brins d’osier, auront un parfum discret dans leur collerette de feuilles vertes. Je m’étais arrêté devant ces pauvres fleurs expirantes. Elles étaient hnmides encore, serrées brutalement par des liens qui coupaient leurs tiges délicates. Elles gardaient l'odeur forte des choux en com pagnie desquels elles étaient venues. Et il y avait des bottes roulées dans le ruisseau qui agonisaient. J’ai ramassé une de ces bottes. Elle était toute boueuse d’un côté. On la lavera dans un sceau d’eau, elle retrouvera son parfum doux et tendre. Un peu de boue, restée tout au fond des pétales, témoignera seul de sa visite au ruisseau. Les lèvres qui la baise ront le soir seront peut-être moins pures quelle. * * Alors, au milieu de l’abominable tapage des Halles, je me suis souvenu de cette pro menade que je fis avec toi, Ninon, il y a quelque dix ans. Le printemps naissait, les jeunes feuillages luisaient au blanc soleil d’avril. Le petit sentier qui suivait...
À propos
Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.
En savoir plus Données de classification - sapho
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- paul balluriau
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