Extrait du journal
Ils pleurenttous lesdeux,fisse lamen tent. ils sont au désespoir; mais ils ont tant confianceen eux qu’ils parviennent âse sourire,et, dans unechambre d’hô tel vilaine, s'achève la scène la plus délicieusequ’on puisse rêver, la suprême entrevue des fiançailles, la scène des serments qu’on tiendra; et avant de quitter le lit qu’ils ont parfumé de leurs jeunes étreintes, elle sur son cœur, leurs bouches unies, ils ne savent que dire ce mot illusionnant qui ne se réa lise jamais : Toujours, toujours, tou jours ! Adieu, le train part, le train siflle, adieu ! adieu ! Et le zouave se laisse emporter avec l’anéantissement de ses joies, tandis que !a petite maîtresse, sur le quai, regarde s’enfuir et disparaître le convoi qui emporte tout ce qu elle aime au monde, vers 1 inconnu et vers la chimère. | Puis, seule, triste, elle essuie les larI mes qui coulent sur ses joues, elle sort de la gare, et pense déjà au men songe qu’il faudra contera sa mère pour expliquer ses yeux rougis qui, peutêtre. n auront pas encore cessé de pleu rer. J'ignore s’il peut y avoir quelque chose de plus joli et à la fois de plus navrant que la situation de ces deux petits, de ces deux amants, qui eux, au moins, n’ont pas le secours des vieilles rancunes et des laides haines du passé, qui n'ont pas même l’habitude de vivre, tant ils sont jeunes, pour trouver en eux un palliatif à leur chagrin. Passons. Echange de lettres brûlantes de pas sion ; l'histoire se continue, les baisers chantent encore... Oh 1 l’amour à coups de bouts de papier 1 Et puis, un jour, notre zouave ne reçoit pas la lettre attendue; et puis il ne reçoit plus aucune nouvelle. Son imagination le torture. Est-elle malade? Est-elle morte? Hélas! c’est plus grave pour lui que tout cela. Une lettre d’ami lui dit un jour, entre autres choses, banalement, comme on raconte un fait qui n’in téressera guère, que la jeune fille se marie... qu elle est mariée. C’est le rêve détruit. A vingt ans, les désespérances sont violentes. Il faut à cet homme dont le cœur saigne, dont la chair sanglote, dont les illusions crèvent, un épuise ment, une fatigue, n’importe quoi qui retirera ses pensées de l'abominable cauchemar qui le rend fou. Soldat, Use révolte contre toute disci pline; on le met en prison, en cellule. Et là, entre les quatre murs du cachot, mille fois plus aux prises avec son chagrin, fi suit sur les murs blanchis de chaux les divers tableaux de son pre mier amour. Il a des hallucinations; il appelle, la nuit, dans l'effroyable noir froid qui le glace, celle qui a trahi ses serments et broyé tant d’espoirs. Le cerveau du malheureux est brûlant de fièvre, c'est la hideuse folie qui vient. Enfin, malade, agonisant, on le traîne à l’hôpital. Deux mois entre la vie et le néant. Il s’en relève si faible que ses souve nirs sont faibles aussi. Et durant ces deux mois, fi a tant vieilli que sa peine s’est d’autant éloignée, et sa belle his toire n’est plus qu’un souvenir loin tain pour lequel fi n’a plus que de pâles sourires et des larmes sentimentales. Plus tard, c’est le retour à Paris. La culotte de zouave est tombée, la calotte rouge aussi. Paris! Mais Paris, c’est l’aiméeI La passion, brutalement, redevient vivace et violente. 11 faut qu'il la revoie! Il la reverra! 11 faut.au moins, qu’il sache si elle, elle est heureuse! Si l’homme qui est so;i mari a su le rem placer et donner à la chère petite une parcelle des joies qu'il lui réservait. Après quelques jours d’espionnage, près de Paris, dans une petite ville gaie et fleurie, au mois de juin, fi voit une jeune femme; elle pousse devant elle une petite voiture, une voiture à bébé. Elle approche ! C’est elle. D’abord, elle ne le reconnaît pas... Cependant, tout à coup, elle pousse un cri : — Vous ! C’est vous ! — Oui, c’est moi, répond le jeune homme. Je suis revenu de là-bas, de ce là-bas maudit. J’ai voulu vous revoir, ij'étais inquiet... enfin, je voulais me rendre compte si vous étiez toujours belle, si votre... mari vous aimait, et si ce mariage vous avait donné le bon heur. Elle ne répondit pas tout de suite; ses yeux regardaient son enfant :...
À propos
Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.
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