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Le Fin de siècle, 9 mai 1907

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Le Fin de siècle
9 mai 1907


Extrait du journal

mérite et sa gloire aussi bien que tel autre qui joue du violon ou qui signe des traités... désastreux ! MARDI. — Ballons. — Vraiment, il y a de temps à autre des gens qui tiennent abso lument à se casser le cou, si ce n’est à en cou rir le risque. Cette bravade de la Mort à laquelle on ne songe point, naturellement, ne manque pas de ton. Seulement la note en est bien élevée ! Je n’ai pas la voix pour ça. J’adore la rue et le plancher banal. Je demandais l’autre soir à un intime très enthousiaste de dirigeables, pourquoi il n’avait point pris part au dernier départ du ballon monstre l'Aigle. Il me répondit avoir préféré dîner avec moi. C’était galant. Néanmoins, je l'accusai de s’être privé d’une joie. — Oh ! me répondit-il, les ballons sphé riques sont bons pour les enfants qui les achè tent au Louvre ou pour les amoureux... I! s'interrompit pour regarder ma gorge. Comme nous dînions, j’étais en peau. Le gaillard, je vous jure, en eut pour son ar gent. Il est vrai qu’il devait se contenter de la vue... c’est déjà trop pour un homme ful gurant comme l’est cet ami. D’ailleurs, V est du Midi. Et l'on sait que quand le Midi, bouge... Seulement, nous savons nous dé barrasser de ces hôtes trop entreprenants qui, dans toute femme gaie, plaisante et qui rit, croient trouver de suite pointure à leur main et chaussure à leur pied... Et c’est ainsi, en étant trop pressé, que plus d’un a raté une splendide occasion, un avenir d’amour, une joie d’aimer comme doi* enf l'éprouver les oiseaux sous les branches. MERCREDI. — Assassins. — A propos des grands crimes dont chaque jour la liste s’augmente, avez-vous remarqué le goût des criminels pour la poésie et ses bergeries? « Oh ! si l’on pouvait tenir registre des rêves d’un fiévreux, quelles grandes et su blimes choses on verrait sortir quelquefois de son délire ! » Ce souhait de J.-J. Rousseau se réalise presque chaque jour maintenant. Névropathes et délinquants sont un succédanné de la gent de lettre. Ils çhgntent sous les verrous pu dans leur lit d’hôpital les dé tresses de leur déséquilibrement intellectuel' et moral. Alors, ils deviennent tendres. C’est, ma foi, le moment. Mais, quels reproches faire à un malade? Or* ce sont des malades à qui la maison de santé vaudrait mieux que la prison. Car ce qui fait souffrir ces fiévreux de tout ordre, c’est leur organisation, autrement dit le sentiment de leur impuissance vis-à-vis d’un destin fatal dont ils ont la conscience. Regardez nos apaches. Beaucoup portent ces devises gravées à même leur chair : L'enfant du malheur ! — Ma déveinel — etc., etc. En outre, ces gens-là sont pétris de vanité. De là, cette fureur de chanter leur crime et cette soif de le lire dans les gazettes. Us ont aussi plus que d’autres la soif de la ven geance. Lacenaire a pu chanter « le plaisir divin de voir expirer l’homme qu’on hait ». U y a ainsi une littérature des gueux, des crève-la-faim, des miséreux, des pas-de^hance dont le poète Jean Richepin nous a donné plus d’un pastiche. Et cette littérature s’en richit sans trêve. Il y a une poésie que le crime nourrit ; il y a une poésie que l’Amour fait naître. Il y a dans la Vie, le Mal et le Bien à quoi chacun sacrifie... Ainsi l’échafaud a ses poètes. Tant pis ! N’en soyons pas ! JEUDI. — Bèquillard. — Très amusant, ce souteneur en béquilles condamné l’autre jour par la 9® chambre pour coups portés à sa maîtresse. On s’imaginerait assez ordinairement que ce métier comporte au moins d’avoir l’usage net de ses bras et de ses jambes. Erreur ! En voilà un qui avait réussi sans faire la belle jambe à se faire nourrir. Et toujours, pour frapper, un bâton à la main : sa béquille 1 C’est charmant ! Mais que diable font ces femmes avec leur manie de nourrir leur p’tit homme ! Il faut croire qu’elles éprouvent à cela une joie très spéciale et qu’elles en re çoivent un plaisir peu banal. Détrompez-vous ! Elles sont frappées, battues, houspillées, mordues comme un chien ne le serait pas! Elles sont veules ! Et c’est horrible. VENDREDI. — La délaissée. — Une de mes plus jolies amies, brune et prenante*...

À propos

Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.

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