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Le Fin de siècle, 19 septembre 1891

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Le Fin de siècle
19 septembre 1891


Extrait du journal

C’est de l’amour qu’il vous faut ! me criez-vous. Hélas ! l’amour est plus rare que vous ne pensez. Il ne va pas se réfugier dans les meublés et les hô tels. C'est là que vous rencontreriez les vieux banquiers dont les catarrhes et les infirmités vous épouvantent Quelle idée vous faites-vous donc de ces hôpitaux de l’amour, où la femme doit avoir le courage et le dévouement d’une sœur de charité ?... Ce ne sont pas les jeunes hommes, dont les lèvres brûlent comme braise, dont les caresses sont chaudes comme votre soleil du Midi, qui vont deman der aux procureuses la chair qu’ils pétriront de leurs bouches et de leurs mains. Non, à l’Age où les nerfs vibrent et chantent l’amoureuse chanson de l’éternelle passion, l’homme va, au hasard, cherchant dans la foule l’amie qui lui donnera les ivresses et des sens et du cœur. Il cherche, à l’aventure, non pas toujours, comme vous le croyez, dans les rangs de la vieille garde. Mais quand une fois il a trouvé la chair de sa chair, alors, Lilette, il ne songe guère à la lancer sur les grandes routes de Cythère. Jaloux, il la cache à tous les regards ; il la veut pour lui seul. Mais les blasés, mais ceux qui lais sèrent, l’un après l’autre, les débris de leur cœur et de leurs illusions, qui re noncèrent à ces primes et sincères amours, dont les irréparables tortures — aimer n’est-ce pas surtout souffrir ? — meurtrirent douloureusement la chair, ceux-là ne veulent plus, pour la satisfaction de leurs appétits et de leurs périodiques luxures, que les catins bêtes, fardées, qu’on prend et qu’on jette, aussitôt les nerfs apaisés. Ils redoutent de nouvelles blessures, ils craignent la félonie des sournoises pas sions qui prennent parfois encore ceux qui avaient juré de ne plus aimer. Ils veulent la fille qu’on paye,(brutalement, et qu’on met à la porte avec l’aumône de quelques louis.... Ceux-là vont chez la mère Leroy. Y vont encore les très vieux messieurs, poussifs et quinteux qui craignent, dans la rue, les rebuffades des jolies passantes, et qui savent que leurs plus sales fantaisies seront satis faites par les pensionnaires de la proxé nète. Ah! ma pauvre Lilette, je vous rois, arrivant chez la mégère, lui criant : Il me faut de l’amour. L’amour viendra sous les traits d'un monsieur aussi beau que Francisque Sarcey. Pour se mettre au point, le bel ami, à demi-soûl, exigera de vous de grandes manœuvres malpropres, avi lissantes; et sans même vous offrir le simulacre de l’amour, il vous deman dera de vous abaisser au niveau de sa hideur physique. Pouah ! ma pauvre amie, ce n’est pas cela que vous avez rêvé ! Il vous faut de l’amour!... Mais l’amour, pas plus que l’esprit, ne court les rues. C’est un oiseau rare; au lieu de se cacher en des trous malsains, il gagne l’azur, il aime les cimes. Cherchez par-là, Lilette......

À propos

Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.

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