Extrait du journal
bien, à quoi lui aura servi cette édu cation ? De quoi cette éducation l’aurat-elle mise en garde? contre rien. Elle ne sait toujours rien ; son mariage, comme le couvent, n’ont été que des dé sillusions. Elle a vingt ans, et d’un bout à l’autre de sa vie on n’a fait que lui mentir, que la leurrer de vaines espé rances, lui mettre dans la tête mille déceptions douloureuses. Si elleestriche, sa famille lui apprend davantage à surveiller sa dot, el les questionsde l’intérêt viennentse joindre aux autres questions sentimentales, aux autres petites saletés qu’elle ap prend de jour en jour. Si elle est pauvre, elle est obligée de subir l’avarice d’un mari qui compte les francs qu’elle a dans sa poche, les sous dépensés à la maison, qui discute le prix des toilettes et des coquetteries. Et elle attend, la pauvre Jeanne, quelques semaines après son mariage, que ce mari intéressé qui la froisse et qui la fait pleurer, dépense toutes ses rentes pour une femme qui fut sa maîtresse, eut de lui un enfant et reste sa maîtresse après le mariage. Contre tout cela, que va-t-elle faire, Jeanne ? La guigne la poursuit : elle est en ceinte et elle va se donner un enfant. En vain, elle fait part à son mari de la nouvelle. En vain lui dit-elle qu’elle est malade, qu’il doit s’intéresser à son mal, que c’est à cause de lui qu’elle souffre. La femme enceinte ne plaît plus au mari. S'il n’avait pas de maîtresse, il en prend une; s’il en avait une, il en prend deux. Et Jeanne voit tout cela sans pouvoir rien dire, sans pouvoir rien faire, car un autre ennemi la menace, peut-être plus terrible que tout le reste, cet ennemi-là c’est le ridicule. Un moment, elle se figure que ce sera très beau de ne plus se plaindre, de supporter stoïquement les à-coups de la vie et les surprises de toutes sortes qui la guettent encore. Elle est persua dée que son mari a une maîtresse, elle ne bronche pas; elle ne veut pas que son mâle s’aperçoive qu’elle souffre à cause de lui. Elle veut ne pas s’intéresser à sa mauvaise conduite vis-à-vis d’elle, puisqu’elle dit qu’elle ne l’aime pas. Sur ces entrefaites, l’enfant vient au monde. Un moment, au milieu de toutes ses douleurs, un secret espoir envahit son cerveau. Cet enfant sera peut-être le lien qui ramènera tout : le bonheur qu’elle n’a fait qu’entrevoir et l’amour qu’elle n’a jamais connu. Ce n’était qu’une illusion. Son mari lui avait paru meilleur un moment parce que, absorbée par son enfant, elle regardait moins l’autre. Et, un peu plus tard, quand elle constatera que ce mari, à travers sa paternité, n’a rien trouvé pour sa mater nité à elle, ce sera le commencement d’un odieux dégoût. Le mari supporté jusque-là ne sera plus supportable; la haine apparaîtia, et pour le mari, de la haine au mépris, il n’y a jamais loin. Entre amants la haine, au contraire, rapproche vers l’amour; une parole d’injures c’est un pas vers le baiser. Peu à peu, l’enfant de Jeanne a grandi. C’est l’histoire de Jeanne qui recommence. A mesure qu’il a besoin de moins de soins, Jeanne devient plus libre, elle envisage plus nettement sa situation qui lui paraît de plus en plus intolérable; elle connaît des femmes très considérées qui ont des amants, elle-même arrive bientôt au moment où les curiosités réclament une satis faction ; et, petit à petit, elle achemine sa volonté de désirs vers celui qui sera demain dans sa vie cette chose tour mentée et tourmentante avec laquelle on ne raisonne point, contre laquelle on lutte sans victoire,au milieu de toutes sortes de dangers où la moindre impru dence peut la perdre, et cette chose-là, c’est l’amour d’un amant. Ces amours-là, hélas ! comme les autres, peut-être un peu moins, ont des désillusions aussi. La première liaison adultère de Jeanne n’aura servi qu’à détruire sa pudeur. Elle admet d’un seul coup la possibilité de s’accoupler avec n’im porte quel homme qui lui plaît. Le premier amanta toujours effacé le mari ; pour toute la vie un mari trompé n'est plus le vrai mari : c’est un être ridicule. Et jusqu’à l’âge où il faut abdiquer, Jeanne continuera à passer la revue des 'constitutions masculines de son entou rage, y prenant le plus de plaisir possi ble, faisant le moins d’enfants possible;...
À propos
Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.
En savoir plus Données de classification - otero
- la fontaine
- falstaff
- jean
- li smi
- rach
- jane michel
- lenthéric
- ro
- paris
- trouville
- lille
- villers
- aix
- vou
- lily
- l'amour
- paul
- alençon
- académie de musique
- longchamp
- m. x