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Le Fin de siècle, 29 juin 1899

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Le Fin de siècle
29 juin 1899


Extrait du journal

— Eh bien ! voyons, qu’y a-t-il? Epan chez-vous, mon ami. Je pourrai peut-être vous donner un conseil. — Ah ! mon cher Richard, ce qui m’ar rive est si bizarre ! Il faut vous dire que, tous les ans, je nie promettais de venir passer à Paris une quinzaine et, tous les ans, je recu lais devant l’ennui du voyage. On est si bien au château de la Lézardière ! — Oh ! le fait est que j’y ai passé une sai son de chasse délicieuse. — N’est-ce pas ? Seulement, pour dire la vérité, cela manque un peu de femmes. Il y en a bien deux à Niort : Albertine, une petite brune, place de la Brèche, et Hortensia, une grosse blonde, rue Saint-Martin. Il y a douze kilomètres de la ville au château, c'est un dérangement... Sans compter que passer de la brune à la blonde est assez peu récréatif, quand il n’y a qu’une brune et qu’une blonde. — Peste, vous êtes difficile! — Non, pas tant que vous croyez, puisque je n’étais pas venu à Paris depuis six ans. Une fois par semaine environ, j’envoyais le matin par mon valet de chambre ma che mise de soie dans un petit paquet, tantôt à Albertine, tantôt à Hortensia. Elles savaient ce que ça voulait dire. Elles comprenaient tout de suite : « Monsieur le comte de Folangin viendra ce soir. » Et elles se sentaient l’âme remplie d’une douce joie. Non seule ment ce petit paquet prévenait de mon arri vée sans me compromettre, — il ne faut jamais écrire, — mais il avait l’avantage de ne i ien changer à mes petites habitudes. Mon cher ami, vous mettriez dans mes bras la plus jolie fille du monde, si je n’avais pas ma chemise de soie Pompadour, fermée par une cordelière bleu de ciel, je vous assure que je n 'éprouverais aucun agrément. — Vous exagérez. — Non, je suis comme ça, et vous verrez quand vous aurez mon âge. Bref, un peu blasé sur la sveltesse d’Alberline et sur les rondeurs d’Hortensia, je me décide cette année à faire le voyage de Paris. Sept heures de chemin de fer ! et une fois débarqué se trouver à la gare d’Orléans, c’est-à-dire à côté du Jardin des plantes, ce qui nécessite un second voyage presque aussi long que le premier pour parvenir aux quartiers civili sés... Bref, je m’installe au Grand-Hôtel, et, dès le lendemain, je fais à Auteuil une entrée triomphale. Triomphale, entendons-nous. J’ai bien vu tout de suite, par comparaison, que je n’étais pas à la mode de Paris. Mon pardessus mastic était trop clair, ma cravate trop bleue, et mes gants trop rouges, si bien que quelques-unes de ces demoiselles me prirent pour un Brésilien — un riche Brési lien — mais rasta quand même. « Celte opinion, d’ailleurs, fut loin de me nuire, et au bras de mon vieil ami le duc d’Arcole qui me pilota, j’eus un succès plutôt flatteur pour un brave gentilhomme campa gnard. H me présenta à Léontine Spuller, une de nos demi-mondaines les plus lancées, et celle-ci, sans hésiter, daigna me donne» l’adresse de son hôtel, 10, rue Murillo — c’était clair, n’est-ce pas ? Quand une Léon tine Spuller, au bout de cinq minutes de con versation, donne son adresse à un monsieur qu’elle n’a jamais vu, cela signifie : Vous pouvez y aller carrément. « Et j'y allai carrément. C’est-à-dire que, le lendemain matin, j’envoyai, 10, rue Murillo, ma chemise Pompadour et mon valet de chambre. Elle me fut outrageuse ment renvoyée et, dans la journée, Léontine me tourna le dos. A Paris, ce n’est pas comme à Niort ; une de perdue, dix de retrouvées, et Grangeneuve me présente à Jeanne Baliza — un peu mûre,mais très bien posée dans le monde de la haute noce. « J’envoie derechef par mon domestique ma chemise Pompadour... et elle m'est en core renvoyée avec un mot fort discourtois. On me priait d’apporter par la même occa sion ma robe de chambre, mes pantoufles et mon bonnet grec. Comme je n'ai jamais porté de bonnet grec, j'ai bien compris tout de suite que c'était une ironie, et je n’ai pas insisté, mais je commençais à être décou ragé. « Je racontai ce double mécompte au club, et le comte de Pontades me dit en riant : « — Mon cher comte, la coutume était peut-être excellente pour Niort, mais à Paris on n’envoie pas la chemise. Ce n'est pas l’usage. « — Alors que fait-on ? « — Ma foi, je ne sais trop. En général, ces dames en ont de fort élégantes qu’elles daignent vous prêter... « — Coucher dans une chemise qui au rait appartenu à un autre, et qui ne serait pas marquée à mon chiffre et à ma couronne, — jamais de la vie ! « — Ou bien encore, on peut conserver celle du jour. « — Avec le col carcan et le plastron raide d’empois — en voilà une partie de plaisir! « — Enfin, arrangez-vous ; mais, je vous le répète, jetez, si vous voulez, votre mou-...

À propos

Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.

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