Extrait du journal

... Elisabeth est son petit nom ; elle a la beauté du diable; elle a surtout des yeux et une bouche admirables. Frêle, menue, nerveuse, fine et spirituelle comme Gavroche, elle est un bouquet d’éclats de rire. Un jour, brusquement, Élisabeth apprit comment on verse des larmes. La plus vive désillusion, la plus poi gnante désespérance faisaient leur ra vage, de compagnie... Adieu, les rires ! Adieu, la joie ! Bonjour, les pleurs ! Salut, nuits sans dormir ! En vain, parce qu’elle est belle, des soupirants vinrent-ils, avec des paroles de cour, présenter leurs hommages, s’offrir comme consolateurs, mendier aussi quelques privilèges... Elisabeth ne répondit pas à toutes les prières de ces hommes qu’elle n’au rait pu aimer, dont elle n'aurait même pu supporter l’amour, parce qu’ils avaient été les amis de son amant cruel et qu’elle les trouvait vilains et vils. Alors, ces soupirants — chacals venus après le festin du lion — essayèrent de tuer les souvenirs de l’amant disparu. A tour de rôle, ils épuisèrent tous les mots méchants, toutes les expressions lâches. — Je veux bien dire du mal de lui, moi; mais je vous défends, vous, de dire un seul mot désobligeant sur mon amant, devant moi! J’ai le droit de le maudire ; vous n’avez pas le droit de l’insulter. Us se récrièrent : il ne lavait pas aimée; elle était folle; eux seuls l’ai maient... etc., etc. Alors, Elisabeth prit sa voix claire et forte, ferma à demi ses yeux et, se le vant, penchée vers eux, elle leur cria dans le visage : — Mais malgré tout ce qu’il m’a fait de mal, je l’aime plus que vous tous qui me promettez tant de bien 1 Une seule nuit de son plaisir, je la préfère à toutes les nuits que vous me pourriez donner ensemble! Ah! vous l’insultez! Mais vous ne le connaissez pas. Il était l’amour, il était l’enfant. Quand il me voyait pleurer, il m’enlaçait pour pleu rer avec moi! Quand il m’avait fait beaucoup de peine, il savait au moins me demander pardon! Et je l’aimais enfin! Et je l’aime toujours! Et c’est vous, vous ses amis, qui prétendez à sa succession! Mais si vous aviez en vous de quoi me plaire, je vous aurais déjà pris pour délasser mes soirs d’ennuis 1 Oh! vous! quand je vous vois!... Et quand je pense à lui ! Mais il était beau, et vous êtes laids! Mais il était simple, bon, loyal, autant que vous êtes manié rés, stupides et lâches ! J’aimais sa bru talité, j’aimaisses inconséquences, parce que chez lui tout était naturel, et j’ai horreur de vos politesses obséquieuses, dont chaque geste a la forme du men songe... Ohl je vous en prie, je veux bien, soyons amis, soyons de bons amis, mais ne me parlez pas d'amour, mais neparlons pas de lui. Il est parti, il m’a fait du mal, que je sois seule à le juger. Si je le maudis parfois, c’est que je l’aime toujours; si je le hais avec force, c’est pour entretenir mon amour. Vous ne pouvez pas savoir, vous, combien j’aime ma peine, parce qu’elle vient de lui, parce qu’il l’a causée, sans que je l aie méritée! Mais, je l’aime, je l’aime mille fois plus à cause de cela même! Et si jamais il revenait, comme je lui ouvrirais mes bras avec joie! Oh! comment ne pourrais-je pas aimer ma souffrance! Mes chers amis, ma souf france, c’est tout ce qui me reste de lui ! Voilà ce qu’elle a dit à ses adorateurs, la belle Elisabeth! Et moi qui l’enten dis, je l’aimai davantage encore qu’autrefois, mais je ne lui avouai jamais. Victorien du SAUSSAY. A Sylviane d'A... — Vous m’intéressez beaucoup ; donnez-moi, je vous prie, une adresse où vous écrire....