Extrait du journal

Tandis que les météorologistes nous prédisent, sur la foi des premières neiges et sur celle du Vieux-Major, les pires rigueurs pour l'hiver 1910, les voitures d'oranges commencent à .circuler à travers Paris. Les marchandes des quatre saisons se font, paraît-ij, un point d'honneur de devancer toutes leurs concurrentes dans la vente des primeurs. Or, l'orange, qui est d'un débit facile et agréable, qui est achetée par le pauvre et prend place sur'les tables les p)us riches, l'orangé suscite chaque "année" une belle émulation parmi les Crainquebilles masculins et féminins qui en vivront durant l'hiver. On vit donc les premières petites voitures, toutes chargées des jolies fruits, descendre mélancoliquement le faubourg Montmartre. Minuscules et vertes encore, les oranges, enlevées trop tôt aux chauds rayons du soleil d'Alger et de Sëvitle, paraissent dépaysées sous le ciel brumeux et froid de Paris. Elles ont les pales couleurs des exilées et ne tentent guère les yeux gourmands. Et l'on regrette de les rencontrer, ainsi entassées, coupées, avant l'heure, au fond de ces pauvres voitures. Quand l'automne commence a rouiller les frondaisons des bois, avez-vous vu les oranges mures piquer le feuillage très vert des orangers?...