Extrait du journal
Evidernment, jeune homme, votre idée fe'est pas màuyaise en principe. Il faut à notre pays des serviteurs dociles et souples. Il me semble que vous avez la (vocation. Peut-être auriez-vous tort de prétendre au Conseil d'Etat, à la Cour dès Comptes, à l'Inspection des finances ou à l'une de ces hautes magistratures qui vous obligeraient à prendre des décisions toujours délicates, puisqu'elles engagent la responsabilité, ce que vous ne voulez à aucun prix. Non, vous vous contentez de vous présenter à un concours de rédacteur dans l'un quelconque de nos ministères, peu importe lequel vous ne pratiquez pas le culte arriéré des compétences. Vous vous laisserez mathématiquement porter avec le secours de quelques intrigues _poste supérieur que vous visez. Ne le niez pas le plus humble d'entre les ̃̃gratte-papier n'entre pas dans l'admiBistration 'sans 'concevoir des désirs ambitieux, dont il se juge digne. C'èst une gageure, une chance à courir. Vous savez que vous n'êtes pas désigné pour croupir daiis les emplois subalternes et pour mourir empoisonné par l'amertume. Vous avez de vos facultés une notion juste, n'est-ce pas ? et vous ne doutez pas de votre valeur. Vous tentez l'expérience, assuré de réussir. L'intelligence moyenne dont vous êtes doué, .une fois disciplinée, servira heureusement vos desseins, Vous n'avez guère d'imagination excellente note. Par contre, vous possédez une mémoire infaillible, qui vous a déjà assuré vos succès à l'université vous courez à une réussite éclatante. Je vous annonce la plus brillante, carrière. Vous n'appartenez pas à cette catégorie d'esprits aventureux qui se lancent au hasard à la conquête de la vie. Vous n'avez jamais éprouvé probablement n'éprouverez,vous jamais l'une de ces grandes passions qui soulèvent des tumulte dans l'âme. A trente ans, vous serez officier d'Académie, chevalier du Mérite agricole et du Nicham, enfin vous serez nommé chef de bureau à la première Nous devrions, à notre époque, tous être fonctionnaires. Rien --n'est plus commode pour là sécurité de l'avenir. On entre dans la filière à vingt-cinq ans, on en sort à soixante avec une bonne retraite. Autrefois, nous n'en raisonnions pas de la sorte. Nous partions pour l'existence comme on s'embarque pour-un beau voyage. Nous abandonnions-, une part, la meilleure, à l'im-prévu. La .fortune nous souriait-elle, nous nous empressions de l'accueillir civilement. Nous tournait-elle le dos, nous la poursuivions et nous la regardions disparaître pour chercher une autre chimère à pourchasser. De telles moeurs sont, aujourd'hui, incompatibles avec les nécessités de l'existence. Il faut gagner de l'argent, le plus et le plus facilement possible. On ne fréquente les facultés et les grandes écoles que pour obtenir un diplôme qui ouvre les portés d'une maison, où l'on s'intoxique délibérément, jusqu'au seuil de' la vieillesse, à seule fin d'apaiser le souci des exigences matérielles. C'est un idéal çomme un autre plus exactement, c'est pn vide d'idéal auquel supplée le tourment des devoirs impérieux que nous avons à remplir. Il y a,' je ne l'ignore point, des' jeunes auteurs^qui écrivent avec la certitude de réaliser, dès leur premier volume, une vente qui assurera' le sort de leurs jours. Jamais la production- ne fut plus intensive, ni la publicité plus insolente. Mais à quels risques s'expose le débutant qui s'engage dans cette voie, et comme il est menacé par la ruine qui le guette Alors, tout naturellement, on songe à un métier calme, inoffensif, à un métier exempt de tout ennui, et à l'instant d'opter pour une carrière, on se tourne vers la bureauL'accès n'en est pas accueillant. Il règne sur ces lieux une odeur de ren¡fermé qui nous saisit à la gorge, un mélange de poussière et de charbon. Ces petites pièces n'ont pas varié depuis plus d'un siècle quelquefois. Le nouveau venu s'assied sur la chaise ou te fauteuil, selon le rang qu'il occupait, que son prédécesseur a quitté pour lui céder la place. Sur sa table s'alignent chaque matin les paperasses, la plume, les crayons de toutes couleurs, la gomme et le grattoir, ces ustensiles qui lui..donnent envie de les regarder sans les toucher, .serait-ce par la crainte de lés abîmer ou salir. Il ouvre l'armoire dans laquelle s'alignent des dossiers, avec un tel .respect qu'il recule devant enx et demeure muet d'admiration en constatant la méthode qui a présidé à leur ordonnance. Est-ce là ce qui explique le sommeil de Valkyrie de tant de demandes qui dorment éternellement jusqu'à ce que les éveille de leur léthargie la vigilance d'un directeur intempestif et héroïque ? La routine, dom c.ement, tout doucement, engourdit le ,plus entreprenant, et bientôt le moins disposé à cette soumission accepte l'habitude de la même besogne à heure fixe. La fantaisie agonise lentement, mais sûrement, au cours de ces longues années. Les résignés sé cônsolent en se disant qu'ils travaillent pour le service ;de l'Etat.' Les habiles évitent les tâches ingrates, ou se contentent de se signaJg£ par leur présence, et se déchargent...
À propos
Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.
En savoir plus Données de classification - poincaré
- stresemann
- marty
- andré faillet
- michaux
- grumbach
- jean denoy
- caillaud
- leclère
- protet
- alsace
- france
- paris
- espagne
- reich
- montauban
- orléans
- mulhouse
- chambre
- allemagne
- la république
- cirque de paris
- renault
- r. i.
- académie française
- parlement
- ecole normale
- badische
- comité franco-espagnol
- académie des beaux-arts