Extrait du journal

Le tie-tac de la pendule de Boule semble grignoter le silence de ce salon intime et vieillot suspendu, sur une rue paisible Voisine du Champ-de-Mars. Au mur, face à la fenêtre, un portrait de jolie femme en robe de satin bleu pâle à larges cassures. A gauche du cor sage, qui découvre d'admirables épaules et de beaux bras marmoréens, scintille unique bijou le chiffre de diamant des dames du palais de l'lmpératrice. Feu M. Cabanel fecit... Dans une bergère, une aïeule aux cheveux gris, à peine, recouverts de guipure noire, s'évente d'un geste resté gracieux. Son visage de .bonté et de finesse, sous l'empâtement de l'âge, ressemble au portrait comme une photo graphie brouillée par un mouvement du modèle. Un léger effort d'attention suffit pour recon naître sur les lèvres et dans les yeux usés de Mme Carrette/le sourire d'autrefois, adorable ment jeune. Chut! dit malicieusement l'exquise aïeule, il ne faut pas faire de bmit autour de mes beaux souvenirs, de peur que le destin ne s'avise de m'avoir donné une vie trop longue et trop heureuse. Mais, madame, c'est le 15 août ! Oui... la fête de l'Empereur, n'est-ce pas? Quel est le 15 août impérial qui rayonne du plus vif éclat dans votre mémoire? Le 15 août fut célébré tantôt à Paris, tantôt à Biarritz, tantôt à Fontainebleau, selon les déplacements de la Cour. 11 y eut même un 15 août militaire au camp de Châlons. » Mais le plus beau dont je me souvienne eut pour décor les Tuileries. En quelle année... je ne sais plus. Le Prince impérial avait huit ans. Je revois encore sa jolie figure éveillée et rieuse, ses yeux bleus et ses souples boucles brunes. Son costume de cérémonie consistait en une jaquette de velours noir, avec culotte courte, bas de soie rouges, souliers à boucles de bril lants. Il portait en sautoir le grand cordon de la Légion d'honneur. » Sur l'invitation de M. le duc de Camba cérès, la Cour avait quitté Saint-Cloud à la suite de la famille impériale. Vous n'avez pas idée de la magnificence de cette file de cent calèches attelées en poste et roulant à fond de train, emportées par des chevaux bais bruns que conduisaient des postillons en veste verte galon née d'or, à parements rouges, culotte de cha mois, bottes fortes et perruque à cadenette pou drée coiffée du lampion traditionnel. » En quarante minutes nous fûmes aux Toi leries, où nous attendait un petit déjeuner servi dans la salle du rez-de-chaussée réservée aux officiers de la garde du palais. Ce déjeuner terminé, Leurs Majestés mon tèrent au Salon d'Apollon, où eut lieu la récep tion officielle. L'Eiqpereur et l'lmpératrice répondirent à nos références par d'affectueuses inclinaisons de tête; Nous les suivîmes à la chapelle, où fut célébrée une messe solennelle avec les meilleurs artistes de l'Opéra et les chœurs du Conservatoire. » Après la messe, la Cour se réunit dans la Galerie de la Paix, où l'Empereur et l'lmpé ratrice tinrent le cercle et s'entretinrent libre ment avec tous les invités. » Mais il fallait que Paris fût de la fête. Leurs Majestés l'eussent jugée incomplète sans les témoignages spontanés de l'affection popu laire. » Les daumonts furent avancées. L'Empereur et la famille impériale parcoururent la capitale en passant par la rue de Rivoli, la Bastille, les nouveaux boulevards à (peine achevés, pour revenir par l'esplanade des Invalides et les Champs-Elysées. » Cette promenade était toujours longue. Il fallait aller au pas pour satisfaire la foule, qui se jetait littéralement sous les pas des che vaux et ne se lassait point d'acclamer Leurs Majestés,...