Extrait du journal

'Pèlerinage matinal Il fait beau. La mer est une prairie d'azur sur laquelle se posent les voiles comme des papillons blancs. Douceur enchantée, un peu mélancolique, de ces rives bretonnes horizons voilés, landes mauves de bruyères ou dorées d'ajoncs, bois de chênes verts, saules argentés; grâce sauvage et triste de cette terre aimée des poètes, des héros et des fées, sur vous plane la grande ombre magnifique et ennuyée de René Ce matin, à marée basse, par le chemin semé de varech, de goëmon, d'algues roses et vertes, dans l'odeur saline et le vent vif, je suis montée à son rocher. Un vol tourbillonnant de mouettes le contournait de blancheur; à cette heure matinale, ces oiseaux marins et moi étions les seuls pèlerins vers le solitaire et orgueilleux tombeau. Un étroit sentier grimpe et tourne dans le roc, qui parfois dérobe l'horizon, puis débouche sur le sommet de l'île, contre la petite grille noire qui entoure une dalle de granit. Pas un nom. pas une date! Chacun sait quelle voix éclatante s'est tue en ce lieu, quelles cendres brûlantes y sont couchées et pour qui, contre les récifs, la mer nuit et jour poursuit son chant sauvage. Je me penche sur l'abîme à deux cents mètres au-dessous de moi, les vagues viennent se briser. L'une après l'autre, sans fin, elles apportent à celui qui les a tant aimées leur belle plainte, leurs trésors sous-marins. Une traînée d'émeraude flotte sur elles: peut-être l'écharpe perdue pàr Brocéliande ou la fée Mélusine quand elles viennent, au clair de lune, rendre visite à leur cher René....