Extrait du journal

On ne lui a pas rendu pleine justice, et peut-être est-ce son destin de demeurer toujours" un méconnu. C'est que peu de gens, à vrai dire, connaissaient bien Henry Céard et avaient su découvrir sa valeur .véritable. Vivant dans un effacement volontaire et obstiné, ib était de peux qui semblent sè dérober chaquë fois que la renommée fait mine de s'avancer à leur ren contre et de leur tendre la main. Aimant la littérature avec passion et l'aimant pour elle même, mais dédaigneux de la réclame et se défiant même du succès, il était de ceux qui bornent leur ambition au suffrage sincère et spontané de quelques amis de leur choix et paraissent redouter les applaudissements de la foule. Les applaudissements l'avaient pourtant salué, et aussi quelques sifflets, sans lesquels les bravos ne sauraient être un véritable hommage. Ce fut le soir où Antoine, au Théâtre Libre, joua Les Résignés, ces trois actes si curieux et dont les historiens 'du théâtre devront se souvenir. Sur leur valeur, Jules Lemaître ne s'était point trompé en écrivant: « Oui, je sais que d'autres vous diront que cela n'est pas du théâtre... Est-ce ma faute si j'ai été charmé d'y trouver, au lieu d'une combinaison de faits plus ou moins nou velle, un grand effort, souvent heureux et tou jours loyal, pour rendre des choses longuement vues et profondément senties, et si, enfin, le sentiment de mélancolique résignation dans lequel se résout cette œuvre sincère m'a pénétré moi même au point de me rendre presque insensible à ses défauts ? »...