Extrait du journal

La mode a ses fantaisies, ses caprices. Elle est légère, versatile, extravagante même. Mais elle a aussi ses raisons pro fondes. et sa sagesse. C'est qu'elle repose à la fois sur deux principes habiles à se contredire : la tradition et l'innovation, i« On porte toujours des vêtements, di sait un philosophe, mais leur forme ne cesse de solliciter l'imagination des hommes: » Il est sage de se bien vêtir, si excentriques que paraissent certaines élégances vestimentaires., La mode ne règne pas seulement sur l'art d'habiller le corps humain, de -lui apporter des grâces qu'il, ne possède pas le plus souvent, mais elle fait loi égale ment dans le choix des parures que l'es prit cherche à se donner à lui-même. Il y a des lectures à la mode, et le génie ou le talent des auteurs, la qualité des œuvres ne sont pas les seuls facteurs de la vogue qui entoure ou délaisse les li vres favoris du public. Un chef-d'œuvre est accueilli sans enthousiasme, décou vert un siècle plus tard, aimé dix ou quinze ans avec frénésie, puis retombe dans l'oubli et ne conserve sa place que dans des intelligences d'élite, chez de vrais et rares connaisseurs. Aujourd'hui Balzac estàla mode. Tout le monde le lit ou fait semblant de le lire. Il a des commentateurs, des biographes. Il existe une sorte d'église balzacienne, avec ses desservants, son culte. M. Mar cel Bouteron y officie. On voit dans la bibliothèque de l'lnstitut, dont il est un des conservateurs, de jeunes Australien nes, des Japonais au sourire subtil, qui viennent le consulter sur un détail de la vie d'Honoré de Balzac. Il reçoit de Pologne d'inquiètes correspondances au sujet de l'amant de Mme Hanska, d'Amérique des chèques destinés à ar racher sa petite maison de la rue Re riouard à la frénésie des démolisseurs et des constructeurs de gratte-ciel. Il pu blie de luxueux cahiers balzaciens qu'on se dispute, dont l'édition s'épuise en un instant. M. René Benjamin, l'un des meilleurs écrivains de la génération qui arrive à sa pleine maturité, vient d'écrire une biographie de Balzac à tel point saisissante et émouvante qu'on a l'impression de voir revivre, s'animer, circuler au milieu de nous le prodigieux auteur de La Comédie humaine. C'est le plus beau monument qu'on puisse éle ver à la gloire du grand homme. * * *...