Extrait du journal

L'ART DE S'ÉVADER Etant donnée une prison enclose d'un mur de huit mètres de haut, en sortir. Tel est le problème que tentent de résoudre tous les cerveaux des gens qui, enfermés dans une prison, voudraient bien s'en aller. Pour arrivera la solution, il y a deux procé dés : i° sauter par-dessus le mur; a» sortir parla porte. Le premier procédé est romantique, et nous verrons qu'il est aujourd'hui à peu près im praticable; le second est par excellence le pro cédé moderne. Un gamin de quatorze ans s'est échappé, ; vendredi soir, de la Petite-Roquette. Il s'est servi du procédé vieux jeu : franchir les mu ; railles. Voici le détail de son opération : Après avoir brisé un carreau de sa cellule, il a noué bout à bout ses draps de lit et ses 1 vêtements ; il. a attaché cette corde improviI sée au châssis de la fenêtre, qui n'est pas garnie de barreaux, puis s'est laissé glisser dans la cour. Il a ensuite franchi le fossé qui entoure la rotonde, et après avoir passé sur f une sorte de pont, il a gagné un toit au moyen de l'échelle d'incendie en fer scellée dans le mur. Arrivé là, il s'est mis à démonter des tuyaux de cheminée, il a détaché les fils de fer qui servent à les consolider, puis s'en est servi pour descendre sur un autre'toit d'où il s'est laissé glisser par le tuyau d'une gargouille jusque sur la place de la Roquette. Le galopin a risqué vingt fois de se casser le -cou. D'ailleurs, tout cela ne lui a pas rapporté autre chose qu'une petite satisfaction d'amour -1 propre, celle de prouver qu'il était capable de narguer ses gardiens. On l'a repincé rue Mont martre. Une évasion de ce genre n'est possible, au jourd'hui, qu'à un enfant. Si sévère qu'on se montre envers les gamins détenus, on leur laisse toujours une certaine latitude de mou vement qui peut permettre de filer à celui d'entre eux qui aura de l'audace et une bonne dose de ruse précoce. A la Petite-Roquette, l'évasion est, bien qu'extra-difficile, possible, comme on le voit. Mais dans les pénitenciers agricoles de jeunes détenus, c'est à peu près impossible. Et cepen dant les jeunes détenus sont libres, absolument libres. La porte de la colonie est ouverte ; mais voici l'inéluctable mais les gamins por tent un costume spécial, et, s'il prend fantaisie à l'un d'entre eux de s'en aller par la porte grande ouverte, il est immédiatement cueilli par les paysans qui touchent des primes tout comme lorsqu'ils tuent une bête malfaisante. Donc on peut poser cet aphorisme, con traire aux croyances ordinaires, que le meilleur moyen de garder un prisonnier, c'est de laisser ouverte la porte de la prison....