Extrait du journal

–Je commandais alors, c'était en. (il chercha longtemps la date) un voilier qui faisait le fret du rhum des Antilles. J'avais un équipage d'une trentaine d'hommes environ, parmi lesquels un novice d'à peine dix-huit ans, un Breton, agile, souple, nerveux et rieur, que j'avais hésité à embarquer parce qu'il m'avait semblé au départ qu'il toussait un peu. Bah 1 il se guérira. à la mer. Et. puis il paradssait si désireux de travailler et de si franche allure que je m'étais décidé à le porter sur Le rôle. II. ne guérit point et pendant le trajet de retour tomba même tout à fait malade. Il était devenu maigre et blanc comme cire il dut se coucher et tous les jours j'allais le voir. Or, à l'une de mes visites, je compris qu'il était touché, car son regard avait, comme l'on dit, changé de sens. Un marin, en effet, a toujours l'œil vers le large, la (vue au loin lorsque la prunelle s'assombrit, semble perdre de sa force et ne plus briller que d'un petit feu tourné vers le dedans c'est que le marin est fichu. Ils meurent tous comme cela. J'appelle cela le-regard qui se replie, l'œil égoïste. C'est signe de mort. Il en est de même quand ils commencent à parler de leur village et de leur mère c'est que la vie les quitte et qu'instinctivement ils se défendent contre la fin ~vec des souvenirs du commencement. Mon Breton, lui aussi, se rendait compte, car brusquement il me dit, dans une plainte d'enfant, avec un accent de soumission qui semblait excuser sa défaillance Je sais que je vais piourir. Je veux me confesser....