Extrait du journal

La profession détermine jusqu'à un certain point la façon d'éprouver et d'ex primer ses sentiments. Aussi le choix en est-il délicat pour donner au caractère d'un personnage sa valeur et ses nuan cés. L'homme de lettres est usé. On ne veut plus de ces esthètes, .vêtus de leur éternel veston de velours et coiffés de larges bérets, qui tiennent des discours prétentieux, se livrent à des digressions métaphysiques et qui, au lieu de s'oc cuper de l'objet de leurs tendresses, dis sertent insupportablement de leurs tour ments cérébraux. Ceux-là ne sont pas vrais. Un écrivain et il en est de même pour tout artiste ne cultive plus son mçi en dilettante. Pour la plupart, ce sont des hommes qui triment du ma tin au soir, alignant le plus possible de noir sur du blanc, et qui ne discutent guère que de la vente de leurs œuvres, à moins qu'ils ne se plaignent du triste sort auquel les condamne le goût immo déré d'un luxe fabriqué en 'série. Les professeurs risquent de devenir vite en nuyeux. On leur prête encore quelques facultés qui déclinent et qui les autorise à transformer en un cours de pédagogie leurs savants aveux. Les médecins ne sont enviables qu'à la condition de ne pas avoir une clientèle trop étendue et les avocats de n'avoir pas perdu l'usage de la parole dans le tête-à-tête. Les in dustriels se montrent rudes dans les dis putes et jouent les jaloux. Les commer çants sont généreux, après un bon bilan, et les banquiers ne se séparent jamais de la cote de la Bourse, afin de pou voir utilement documenter leur muse, qui, en retour, les renseigne, le cas échéant. Les fonctionnaires restent hors cadre : on prétend qu'ils disposent tou jours de longues heures inemployées. Les femmes elles-mêmes, en attendant qu'elles soient élues députés, ne sont plus inactives. L'héroïne fatale, qui n'a qu'à paraître pour subjuguer l'univers, ne s'effacera pas tout à fait de la scène et du roman, non plus que la 'cosmopo lite ou la séduisante bourgeoise. Mais...