Extrait du journal
VOICI L’HIVER L’hiver est à nos portes. Voici venir, l'hiver tueur de pauvres gens, a dit le poète. Voici, venir l’hiver tueur des malheureux sinistrés, pouvons-nous ajouter : Comment allons-nous passer cette triste saison ? Douloureux problème que personne chez nous, n’envisage, sans une pro fonde angoisse ! Des milliers de gens sont logés dans des abris en bois, mal clos, insuflisants pour les protéger contre les rigueurs du froid. D’autres dans des maisons aux toits troués, aux murs ébranlés, ayant pour vitres du mauvais papier huilé, entendent souffler sous leurs portes récupérées la bise inclémente qui assassine les petits et les vieux et fait grelotter les mères. Là-bas, à Paris, les lumières éblouis santes du soir illuminent tout un peu ple qui ne pense qu’aux joies de la ca pitale, qu’à ses théâtres, ses cinémas, ses réjouissances de toutes sortes. Le Parisien danse le tango, sous des flots d’éclairage, pendant que dans son lit rustique, le paysan de nos régions se demande comment il pourra l’hiver chauffer les siens, dans sa misérable cagnia. Depuis des semaines, la Presse pari sienne a posé la question : serons-nous chauffés cet hiver ! Il serait regrettable de voir Paris manquer de combustible, mais je n’y croh pas. Dé ministre, M. Loucheur, a fait de très belles promesses ; nous savons, nous, ce que valent les promesses d’un Ministre, mais, malgré cela, nous n’avons pas d’inquiétude à ce sujet. Paris aura du charbon. On a tou jours tout fait pour lui, quitte à léser le reste des Français. Cette fois, nous n’avons pas l'inten tion de nous laisser rouler avec la même bonne grâce. Un effort formidable a été fait de puis près d’un an pour la remise en état des voies navigables de la région du Nord et de l’Aisne. Ce travail qui devait durer des années a été accom pli en 7 ou 8 mois. Nous avons admiré la méthode de travail et l’activité dé ployées à la restauration du canal de Saint-Quentin, en regrettant que les mêmes moyens ne soient pas utilisés dans tous les services s’occupant des prégions libérées. Le but n’est pas seulement de réta blir des voies de transport dont profi tera, à un moment donné la recons truction de nos pays, mais le but im médiat est de relier Paris avec les bas sins houillers du Nord, c'est, en un mot : de faciliter le transport du char bon, d’Anzin, Courrières, et autres mines, à la capitale. Ce beau charbon luisant, si agréable dans les foyers ou dans les cuisinières, va filer sur Paris, en passant à la barbe de malheureux, grelottant de froid, nichés dans des baraques en planches, ou dans des cabanes à lapins ! Cela n’est pas possible et je me demande qui pourra l’admettre. Avant de chauf fer les calorifères de l’Olympia ou du Casino de Paris, avant d alimenter le chauffage central de ces dames de la rue Marbeuf, aux fourrures épaisses et soyeuses, avant d’éclairer les théâtres, les cinémas, les salles de danse et de débauche jusqu’à une heure on même plus tard, nous prétendons mettre un peu de tiédeur dans nos pauvres mai sons ou abris. Nous ne voulons pas que ceux qui, réfugiés ou en Belgique, ou dans des coins de France où ils logeaient dans des granges et dans des écuries, ont pu échapper à la mort, au cours de ce lamentable exil, écoppent dans leur village de retour, la broncho-pneumo nie fatale ou la congestion. Nous voulons qu’auprès du feu, le mobilisé, puisse sans inquiétude des sournoiseries de l’hiver, raconter ses exnloits ou ses misères, à ses pauvres petits, qu’il n’a point vu depuis cinq ans....
À propos
Fondé en 1919 à Saint-Quentin par Gustave Bourlet sur l’idée qu’« aucun journal ne défend les intérêts du département », Le Grand Écho de l’Aisne était un quotidien régional affichant notamment sa volonté de « défendre les sinistrés » de la Grande guerre. Il avançait par exemple l’idée selon laquelle Saint-Quentin serait la ville la plus meurtrie de France en termes de pertes humaines et économiques.
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