Extrait du journal
LES IH STERILES C'est le jour ou l'on formule des vœux et des souhaits. Nul, même ceux qui veulent y rester indifférents, n'échappe à cette hantise d'une année nouvelle, d'un espace de temps qui -finit et d'un autre qui commence. Le rêve entre dans nos esprits, souvenir de ce qui n'est plus, angoisse ou espoir de ce que sera l'avenir inconnu. Au-dessus des- petits devoirs impatientants, des joies naïves ou des ennuis qui accompagnent cette première journée d'une année nouvelle, plane une inquiétude féconde et chacun se demande de quoi demain sera fait ? Tandis que je songe, un mot me revient à l'esprit, par une de ces mystérieuses associations d'idées qui sont une des sources de nos pensées. Je me rappelle que Musset a écrit une pièce de vers qui porte ce titre, que la date fait de circonstance, les Vœux stériles. Je la relis. Le poète, qui était alors tout jeune et entrait dàns la vie,se plaint de cette vie, tout au moins de sa propre existence. Il gémit sur ce qu'il appelle son inaction. A quoi bon penser? A quoi bon rêver? Il faut agir. Et, en ce magnifique langage qui est le sien, il envie le soldat, le politique, l'homme d'affairés même, qui, donnant à leur marche un but rapproché ont chance de l'atteindre, tandis que le chercheur d'idéal semble condamné à toujours voir s'enfuir devant lui le but qu'il a entrevu, à mesure qu'il s'imagine enfin qu'il va l'atteindre. Déclamation de poète, exercice de littérature, matière à mettre en vers latins, comme Musset, ironique, a dit lui-même. Non, Musset est un poète sincère. Il fut variable, outré, déraisonnable souvent, mais toujours vrai. C'est même par cette sincérité que son œuvre demeure;. Seulement, là comme souvent, il se trompe. Une orgueilleuse impatience lifempêehe de voir exactement ce que la pensée, ce que le rêve même arrivent à faire dans la vie du monde. Aussi, tout au contraire de lui, avec le regret dé le faire dans mon humble prose et de ne pas avoir à mon service l'àdmïrâïiïe instrument de sa poésie, je fais, dût-il apparaître d'abord comme un vœu stérile, un vœu tout contraire au sien. Et ce vœu q.ee je forme pour mon pays d'abord, pour les autres ensuite, c'est que les hommes d'action, les « maîtres de l'heure », comme disent si bien les Arabes, soient aussi des hommes de pensée, de réflexion. 11 ne me déplairait même pas tout à fait qu'ils fussent un-peu des hommes de rêve et d'idéal. Le malheur des temps que nous vivos, c'estque l'existence des nations, aussi bien que celle de trop, d'individus, ne semble pas avoir de règle consciente, Le hasard joue un trop grand rôle et on lui fait vraiment la part trop belle. Ceci éclate dans la conduite des choses de la politique, aussi bien dans les affaires de l'intérieur que dans celles de l'extérieur. On ne peut guère contester qu'en France, depuis trois ou quatre ans, nous ce vivions dans la confusion. Dés incidents se sont produits, qui paraîtront incroyables et fabuleux aux histoiiens de l'avenir. Un particulier, par exemple, a fait de son domicile une for'teresse et n'a capitulé qu'après trois semaines de blocus. 11 faut remonter à l'histoire des cités italiennes pendant le moyen âge pour trouver un fait analogue. Des parties se sont créés parmi nous, à l'heure même où les prétendants monarchiques paraissaient oubliés, partis qui vivent, ont une action, une valeur même; par les hommes qui y sont et qui, inhabiles déjà à dire ce ,». u'ils ne veulent pas, sont tout à fait 'incapables, de.. pouvoir dire ce qu'ils Veulent. La politique intérieure de notre ;pays est comparable à un de ces combats de nuit, que les plus grands hommes de guerre ont avoué toujours redouter, parce'que la valeur des soldats et l'habileté des chefs n'y sont de rien contre les surprises du hasard. Nous al̃> lions vraiment, il y a trois ou quatre ans, vers un avenir qui apparaissait heureux, parce qu'il apparaissait nettenent déterminé. La République n'était plus guère contestée dans un pays légitimement fier d'être devenu maître de ses destinées: Il était entré dans la tête d'à peu près tout le monde que la génération dont je suis avait ac-' rempli la,tâche, nécessaire et difficile,...
À propos
Lancé en 1883 sur le modèle du quotidien britannique le Morning News, Le Matin se revendiquait être un journal novateur, « à l’américaine ». Son directeur Alfred Edwards entendait donner « priorité à la nouvelle sur l’éditorial, à l’écho sur la chronique, au reportage sur le commentaire ».
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