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Le Matin, 24 juin 1887

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Le Matin
24 juin 1887


Extrait du journal

C'est très embarrassant. Il n'y a qu'un moyen de se tirer-d'affaire, c'est quand on est obligé d'aller sur le pré, soit pour son compte, soit comme témoin, de se conduire le plus correctement possible, sans se préoccuper le moins du monde de ce que le lendemain diront les badauds. D'abord vous pouvez être assuré que ceux qui se moquent si agréablement des duels où l'on ne s'est pas massacré, ou bien sont très inexpérimentés en fait d'armes, ou bien feraient une piètre figure en face d'un adversaire qui leur mettrait l'épée aux yeux. Un homme qui sait ce que c'est qu'une rencontre à l'épée et qu'une piqûre au pouce peut très bien vous mettre hors d'état de tenir une arme, n'a pas la plaisanterie si facile. Un homme vraiment brave suspecte rarement et sans preuves le courage d'autrui. Pourquoi, on se touche plus souvent à la main ou au bras qu'au corps ? Tout bonnement parce que la main et le bras sont les parties les plus avancées, plus rapprochées de la pointe de l'épée que la poitrine. Et cela se passe en salle comme sur le terrain. Voyez deux tireurs faisant assaut, ils ne cherchent que le corps et pourtant il est bien rare que, surtout au commencement, il n'y ait pas deux ou trois coups touchés au bras pour un coup réussi à la poitrine. En salle cela ne compte pas, mais sur le terrain cela pique et cela compte. Pour, le dire en passant, c'est sur cette différence qu'est fondée la leçon de terrain de Jacob que tant de gens critiquent sans l'avoir étudiée ou pratiquée. Il va de soi qu'une méthode de combat ne peut être identique à la méthode d'une escrime conventionnelle qui est un merveilleux exercice, un sport admirable, mais soumis à des.règles arbitraires qui ne sont pas applicables au duel. En salle, les coups pour coups ne comptent pas; ils comptent sur le terrain et terriblement. Il est donc tout naturel que les blessures à la main et au bras soient beaucoup plus fréquentes crue les autres, même quand on y va bon jeu, bon argent. J'ai été, il n'y a pas bien longtemps, témoin d'une rencontre où les deux adversaires avaient une extrême envie de se transpercer. Ils ne s'épargnirent pas, je le jure, et pourtant, à notre grand soulagement, cela finit par un léger coup d'épée au bras, suivi, il est vrai, d'un engourdissement immédiat. Je voudrais bien y voir les malins, et s'ils proposeraient de continuer, quand il semble qu'on ait au bras un poids de vingt kilos. Il n'en est pas toujours ainsi, et il peut arriver qu'une blessure, même assez profonde, ne vous mette pas hors de combat et que vous ne soyez pas pour cela en état d'infériorité. Mais le plus souvent, même dans l'échauffement de la lutte, le bras s'engourdit, le poignet refuse le service. S'appelât-on d'Artagnan, il faut s'offrir aux bons soins du docteur et rentrer chez soi. Il semblerait vraiment que la blessure au bras, rendant impossible la continuation du combat, soit chose de notre temps,et qu'autrefois, àchaqueduel, il y eut mort d'homme. Pure légende Encore une légende que l'histoire du spadassin tuant son adversaire à coup sûr. Cela fait sourire les gens qui savent les armes, comme on sourit des bottes secrètes, fùt-ce la botte de Nevers La légende, d'ailleurs, n'est pas malaisée à expliquer. On a gardé le souvenir des rares duels qui ont eu une issue fatale. On a oublié les nombreuses rencontres où il n'y a eu qu'une blessure légère. Je suis né dans une ville où, pendant vingtcinq à trente ans, de 1815 à 1840, on se battait avec la même facilité qu'on prend aujourd'hui son café. Etudiants et officiers, légitimistes et libéraux, croisaient le fer ou échangeaient une balle, pour un oui, pour un non. C'est à Poitiers qu'un étudiant en droit et un lieutenant des chasseurs de la Vienne, dans les premières années de la Restauration, se battirent au sabre sur un billard. Frédéric Soulié a conté très exactement l'affaire dans un de ses romans. C'est à Poitiers, plus tard, que Lemaire, se battant au pistolet avec Le fameux de Pindray, et roulé à terre par une balle en plein ventre, se releva, puis, enfonçant lé doigt dans la plaie, cria à son adversaire a Ça ne sent pas la. attendez mon feu, monsieur! » Il tira, manqua, et ne mourut pas. MM. de Goncourt ont placé le mot dans Renée Mauperin. Mon enfance est pleine de ces souvenirs. Eh bien, pendant cette période où il n'y avait pas de mois où l'on ne tirât l'épée, c'est à peine si l'on compte sept ou huit duels où l'un des adversaires ait succombé. Au pistolet, c'était beàucoup plusdangereux pas plus de morts, mais des blessures plus graves. On se battait d'ordinaire en marchant l'un sur l'autre, jusqu'à une certaine distance, tirant à volonté. C'est le vrai duel donnant la sensation du combat, tandis que le duel au commandement ressemble à un tir à la cible ou atix pigeons. Il n'est pas agréable d'être la cible, il est moins agréable encore d'être le pigeon.Nous avons tous connu sous l'Empire, de 1860 à 1868. M. Ambert, ce grand vieillard qui portait si haut la tête sous sa couronne de cheveux blancs. Il avait été de toutes les luttes du parti républicain, rédacteur du National, témoin d'Armind Carrel dans son duel avec Emile de Girajfdin. préfet de Lyon en Menant violemment la vie, il était toujours prêt à mettre l'épée en main pour ses idées et son parti. Il tirait admirablement. Les vieux amateurs de ce temps m'ont conté qu'il faisait égalité avec le célèbre Lozès, le rival de Bertrand. Ambert avait peut-être eu vingt duels, tous heureux. Une seule fois, il y avait eu mort d'homme. Donc, autrefois comme aujourd'hui, un très grand nombre de duels, le plus grand nombre, sans résultat grave. Vraiment la galerie est trop s^gesnîe. Voici depuis deux ans deux duels de'...

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Lancé en 1883 sur le modèle du quotidien britannique le Morning News, Le Matin se revendiquait être un journal novateur, « à l’américaine ». Son directeur Alfred Edwards entendait donner « priorité à la nouvelle sur l’éditorial, à l’écho sur la chronique, au reportage sur le commentaire ».

 
 
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