Extrait du journal

C'était un vieux peintre, né aux environs d'Arles, mais que la lu-' mière bretonne, avec son orient de perle grise, et les charmes difficiles d'un ciel changeant avaient retenu depuis un quart de siècle sur une, pointe farouche du Finistère. Il y avait acheté une masure à demi ruinée, quelques arpents de rocs et d'herbes, avait aménagé le sol et la maison d'une manière simple, virile, et y vivait tout seul pendant six mois de l'année. Nous faisions ensemble le tour du promontoire par le sentier des douaniers qui serpentait, glissait, fuyait et se perdait souvent parmi des blocs de granit, d'énormes fougères sauvages, des bruyères et des ronces. Je partais le lendemain et regardais avec avidité le spectacle auquel son geste ample et brusque me conviait, cette liberté des pierres et des eaux, la barbarie ingénue du crépuscule. Le vieux peintre avait raison. L'automne qui, déjà, commençait à ronger la naissance et la longueur des jours donnait à l'Océan une grandeur nouvelle. L'horizon était plus !large et plus nu, dépouillé des 'prestiges rayonnants de l'été, de sa richesse heureuse et de sa mansuétude. Un souffle inquiet et menaçant tout à lâ fois traînait la surface des flots qui portaient sur leurs crêtes les dards du soleil couchant et sans chaleur. La marée, qui avait une ampleur, une majesté chaque jour plus âpres et plus lourdes, battait rudement les éperons de granit, noyait la grève, ensevelissait à demi les rochers fantastiques qu'on appelait dans le pays « La Selle du Géant et « La Tête de Moine r, aspergeait d'embruns le sentier par où nous cheminions. Le temps était proche où il serait coupé par la fureur du flot hivernal et livide....