Extrait du journal

La hideur du néant Un .coin d'île, réputé naguère paradisiaque, transformé sous les cendres volcaniques en ,terre lunaire. Toute végétation disparue. Les murailles des anciennes maisons et des Plus, puissants édifices fauchées partout, ou presque, au ras du sol. Les lits des rivières desséchées, mettant des stries noires, sinistres à l'œil, dans ce panorama de planète morte. Et, sous le linceul cendreux qui ne s'épaississait que peu à peu à chaque éructation de la Perlée, trente mille cadavres, sidérés, carbonisés empuantissant l'atmosphère. Tel fut le'spectacle que m'offrit, en fin .rie mai 1902,, le vaste amphithéâtre où Saint-Pierre et sa banlieue étageaient, quinze jours auparavant,' leurs maisons blanches, enveloppées d'opulentes arborescences. ̃ r Tout le nord de la Martinique venait d'être évacué, le volcan.déversant boues, iL cendres sur un périmètre très étendu. Les habitants de la Basse-Pointe, du Macouba, de la Grand'Rivière, du Prêcheur, du Morne-Rouge, toutes communes àvoisinant Saint-Pierre, s'entassaient à Fortde-France dans des baraquements construits en hâte par la municipalité, que dirigeait alors M. Victor Sévère, aulourd'hui député de l'fle.,Ces gens ne parlaient de -la terrible Pelée qu'avec des tremblements dans la voix et dans le geste. J'entends encore à l'hôpital de Port-dè'-Prance un grand escogriffe de cordonnier nègre, qui répondait au nom de Compère-Léandre il .habitait les boulevards extérieurs de Saint-Pierre et avait dû, tant à la protection d'un morne voisin qu'à la longueur de ses jambes, de sortir du désastre vivant, quoique affreusement grillé. Il me disait, à travers les -bandages au cédrat qui emmaillottaient sa face camuse « Damné Saint-Pierre 1 Jamais il ne me reverra...