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Le Midi socialiste, 3 août 1939

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Le Midi socialiste
3 août 1939


Extrait du journal

le démagogue par Léon BLUM. E qu’il y a de plus surprenant dans le dernier discours de Paul «g Reynaud, c’est le ton. Je fais de mon mieux la part des choses. Je me rends compte que dans la satisfaction avantageuse qu’il étale entre pour une bonne part l’intention de propa gande — propagande pour le dehors comme pour le dedans. N’im porte ; c’est forcer par trop la mesure que de traiter de « défaitiste » quiconque ne s’émerveille pas sur les résultats de sa gestion. Défai tisme ! Pourquoi pas haute trahison ? Qu’il prenne bien garde : un certain nombre de ses collègues, pris parmi les plus huppés, nous accompagneraient au poteau d’exécution. Ce serait une façon comme une autre de remanier le ministère. Nous n’avons d’ailleurs que l’embarras du choix. Si nous ne sommes pas deshonorés comme défaitistes, nous sommes discrédités comme démagogues. Faut-il un exemple ? Pensez donc : j’avais ou l’audace d’écrire qu’en avril dernier un des décrets-lois fabriqués au ministère des Finances ne surtaxait les fournisseurs de guerre qu’en apparence, et les détaxait en réalité. Mon compte est bon. « La démagogie qui s’est manifestée en ce domaine n’est pas seulement dé pourvue de motifs ; elle est dangereuse pour le pays. » Voyons un peu en quoi consistait ma démagogie dangereuse pour , le pays. Je suis fâché de revenir là-dessus. Mais vraiment on avouera que Paul Reynaud « me cherche ». Paul Reynaud avait affirmé dans son discours d’avril que des dispositions draconiennes — l’épithète est de lui, non pas de moi — étaient prises pour limiter, et même dans certains cas confisquer les profits des munitionnaires. On n’a qu’à se reporter au texte du dé cret et l’on constatera que ce prélèvement draconien y était présenté comme la contre-partie équitable et nécessaire des sacrifices imposés à la masse des salariés et des consommateurs. J’ai démontré, avec chiffres à l’appui, que le décret-loi d’avril, bien loin de surtaxer les munitionnaires avec une rigueur draconienne les frappait avec beaucoup moins de sévérité que les textes alors en vigueur auxquels le dit décret-loi se substiti ait. J’ai démontré que dans un grand nombre de cas il y aurait non seulement détaxe, mais exonération complète. J’ai démontré que les cas où il pourrait y avoir surtaxe restaient tellement exceptionnels, supposaient un taux de pro fit tellement élevé qu’on pouvait les considérer comme négligeables. Je demande où est la démagogie dans tout cela ? Ce n’est pas moi qui ai inventé de poser comme contre-partie aux sacrifices de la masse un prélèvement draconien sur les profits | H’auncment ; c’est Paul Reynaud. On a prrfai urinent le droit de trou ver l’idée démagogique ; mais alors, le démagogue ce n’est pas moi J l c’était lui. Etais-je un démagogue quand j’affirmais que le décret-loi d’avril se substituait à la législation alors en vigueur ? A l’époque, le minis tère des Finances a essayé de finasser là-dessus. Mais ma thèse, d’ail leurs évidente au premier examen du texte, est aujourd’hui confir mée... par Paul Reynaud lui-même dans son discours de samedi der nier. Il critique l’ancienne législation avec des arguments que je n’ai pas à discuter pour l’instant. Je retiens que, de son propre aveu, elle était et reste abrogée. J’ai donc révélé au pays la vérité que les com muniqués officieux cherchaient à dissimuler. Etais-je un démagogue quand j’assurais et démontrais que la substitution du décret-loi d’avril à l’ancienne législation aboutirait normalement non pas à la surtaxe, mais à la détaxe, ou même au dé grèvement complet ? Les travaux de la commission Guinand, dont le gouvernement s’est approprié les résultats, confirment pleinement ma démonstration. Qu’on en juge par ce simple rapprochement: le dé cret-loi d’avril exonérait tous les profits inférieurs à 6 p. 100 du mon tant des marchés. Le nouveau décret-loi frappe tous les profits et le prélèvement est du quart jusqu’à 4 p. 100 des marches, de moitié, entre A et G p. 100. On conviendra que la marge est sérieuse. Grâce à ma démagogie l’incroyable erreur commise par les services de Paul Reynaud, dans des conditions plus incroyables encore de précipi tation et de légèreté, est en partie réparée. Me voici donc en paix avec ma conscience. Mais, dites-moi, Paul Reynaud, assurer solennellement le pays qu’on traque les fournis seurs avec une rigueur draconienne, alors qu’on les ménage ou les exempte, faire miroiter dans le pays cette sévérité mensongvi e com me contre-partie à des sacrifices trop réels, est-ce que ce ne serait pas ça, la démagogie ?...

À propos

Lancé en 1908 sous le patronnage d'A. Bedouce, député SFIO, Le Midi socialiste était un quotidien de gauche édité à Toulouse. En 1910, Vincent Auriol en devient le rédacteur en chef. Malgré ses vélléités de grand quotidien régional, Le Midi socialiste se vendait essentiellement dans Toulouse même, où son tirage était par ailleurs relativement faible.

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