Extrait du journal
L’ABUS DU DROIT par Léon BLUWI. JE reviens à la question que j’ai posée hier. Elle me tient à cœur. C’est pour moi une véritable souffrance que d’entendre dire sur un ton léger, comme si l’on parlait d’une chose naturelle ou indif férente : « Alors, quand la Chambre s’en va-t-elle ? Le IG ou le 23 ? Cette semaine ou la semaine prochaine ?... » Celte acceptation plus que résignée, cette soumission consentante, cette anesthésie de l’esprit républicain, tout cela peine et alarme. On me dira : « C’est au contraire la Constitution qui s’applique. Ses règles sont formelles. I.a session ordinaire s’ouvre de plein droit le second mardi de janvier. Après cinq mois écoulés le gouverne ment peut la clore et les cinq mois sont dès à présent révolus... » C est vrai : le gouvernement peut clore la session sans violer en quoi que ce soit les règles constitutionnelles. Mais est-il conforme à l’es prit de la Constitution, est-il conforme à l’esprit de la République que le Parlement cesse pour quatre, cinq ou six mois son existence quand d une part la situation internationale présente un caractère excep tionnel de gravité, quand d’autre part le gouvernement est nanti de pleins pouvoirs illimités, dont la vacance parlementaire ne permet jnème plus de contrôler l’exercice ? Je n’entends pas contester le droit du gouvernement qui est certain. Mais rien ne l’oblige à en user en toutes circonstances et n’est-il pas des cas où l'usage d’un droit devient précisément ce que les juristes appellent un abus du droit ? Si d’ailleurs la clôture de la session entre dans les attributions cons titutionnelles du gouvernement, il entre dans les attributions de la Chambre de lui en signaler, avec clarté et avec fermeté, les inconvé nients ou les périls. On me dira encore : « Trouvez-vous si édifiant le spectacle que la Chambre donne en ce moment au pays ; jugez-vous bien néces saire de le prolonger davantage : ne pensez-vous qu’il vaut mieux baisser le rideau et pour un long entr’acte ? » Je conviens que depuis 1a fin de l’interpellation de politique étrangère, c’est-à-dire depuis plu sieurs semaines, les débats de la Chambre ont manqué d’ordre, d’éclat, et, si je puis dire, de conviction. Mais à qui la faute ? La Chambre y est assurément pour quelque chose ; les groupes politiques ont aussi leur part de responsabilité, y compris le groupe socialiste : cepen dant le grand coupable est assurément le ministère qui laisse aller à vau-l’eau le travail parlementaire, sans lui fournir d’aliment et sans lui imprimer de direction. Il y a deux ou trois semaines, nous nous sommes réunis à quel ques-uns sur l’initiative de notre camarade Lambin et sur mandat du groupe socialiste. Nous avons procédé ensemble à un examen critique des méthodes de travail parlementaire, dont tout le monde reconnaît la désuétude, l’inadaptation aux fonctions de l’Etat mo derne ; nous avons recherché ensemble quels amendements ou quelles transformations il conviendrait d’v introduire. Celte étude a abouti à des conclusions positives dont la Chambre est déjà saisie et que nous aurons grand soin d’expliquer à l’opinion socialiste et républi caine, car elle sent l’importance du problème de la réforme parle mentaire. Mais nous étions tous d’accord pour reconnaître que l’effi cacité d’une réforme. quelconque en cette matière est rigoureuse ment subordonnée à l’existence d’un gouvernement fort, actif, déter miné, sachant ce qu’il veut, sachant où il va et entraînant la Chambre dans son sillage. A l’imerse, l’expérience du premier gouvernement de Front populaire a montré que la décision et le « dynamisme » d’un gouvernement suffisaient presque à compenser la médiocrité des méthodes et à assurer la quantité, la qualité, la célérité du ren dement. Que le ministère, ail lieu de penser toujours à son droit consti tutionnel, remplisse donc ce qui est au premier chef son devoir cons titutionnel. Qu’au lieu de s’écarter du Parlement, de le laisser s’étein dre en douceur, il l’anime et le conduise. Les pleins pouvoirs lui ont lté remis, c’est entendu, mais j’imagine qu’aucun de ceux qui les %nt votés n’entendait par là destituer le Parlement de sa fonction législative. Leur unique but était d’armer le gouvernement pour des Ictes urgents, massifs, comportant, certes, la discussion, car dans une. République tout la comporte, mais non le retard. Qu’il y ait quelque difficulté à faire marcher de front cette activité normale et régulière avec la procédure exceptionnelle des décrets-lois, c’est fort possible. Mais c’est le gouvernement qui a créé la difficulté en demandant les pleins pouvoirs pour huit mois et demi, et c’est à lui qu’il appartient de la résoudre. Il s’en tirera d’ailleurs sans trop de peine s’il limite sagement les pleins pouvoirs à leur véritable objet. I n ordre de solutions est en tout cas interdit aux yeux des républicains, celles qu’on rechercherait dans le silence du Parlement, dans sa vacance, dans l’étalage dérisoire de son impuissance, c’est-à-dire dans son abdication....
À propos
Lancé en 1908 sous le patronnage d'A. Bedouce, député SFIO, Le Midi socialiste était un quotidien de gauche édité à Toulouse. En 1910, Vincent Auriol en devient le rédacteur en chef. Malgré ses vélléités de grand quotidien régional, Le Midi socialiste se vendait essentiellement dans Toulouse même, où son tirage était par ailleurs relativement faible.
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