Extrait du journal

LA GUERRE DES NERFS par Léon BLUM OE temps à autre une expression fait fortune, c’est-à-dire qu’elle devient ce qu’on appelait autrefois « un cliché » et ce qu’on appelle aujourd’hui, je ne sais pourquoi, « un slogan ». Saluons le succès de « la guerre des nerfs ». En dépit du patronage de Paul Reynaud, « la guerre blanche » n’a pu supporter la concurrence. S’il ne doit pas y avoir d’autre guerre que celle des nerfs, il me semble qu’elle est gagnée. Jamais, au grand jamais, le système ner veux n’a été plus sain, jamais il n’a fonctionné avec plus de régula rité, ni de calme. Quand on observe l’opinion publique, on constate avec évidence, non seulement qu’elle n’a pas ses nerfs, mais qu’elle n’a pas de nerfs. On pourrait même s’étonner de cette indifférence qui prend presque l’apparence d’une apathie. La France n’ignore pas que de l’autre côté du Rhin et de l’autre côté des Alpes les prépara tifs militaires s’accumulent avec une ténacité méthodique et quelqut peu ostentatoire. Les journaux la tiennent abondamment au fait des conseils tenus par les dictateurs et leurs ministres. Non, la Franc/ n’ignore rien d'une situation menaçante, qui demain peut devenu angoissante, et après-demain dramatique. Mais ce qui est vraiment admirable, c’est que tout se passe comme si elle l’ignorait. Le pouls de la nation ne bat pas un coup de plus à la seconde. Ce qui explique cet état de choses étonnant, et, je le répète, admi rable, c’est que dans son immense majorité, l’opinion française ne croit pas à la guerre, ou, pour parler plus exactement,’ elle ne consi dère pas la guerre comme une possibilité raisonnable. L’opinion française a toujours beaucoup de peine à se placer en dehors du plan de la raison. Elle est convaincue, à juste titre, que la guerre ne peut être provoquée, directement ou indirectement, ni par une agres sion de la France, ni par une agression de la Grande-Bretagne, ni par une agression des puissances démocratiques ou pacifiques liées à la Grande-Bretagne et à la France par des pactes de garantie. La guerre ne peut pas venir de ce côté-là. Elle ne pourrait venir que d’une initiative des dictateurs. Or. pour l’opinion française l’acte décisif par lequel les dictateurs déclencheraient la guerre apparaît comme quelque chose d’inconcevable, d’inassimilable à la raison, comme une monstruosité logique. Car, rien n’est plus monstrueux, pour un peuple logique, que cet effet sans cause que serait l’agression de demain. Et il est bien vrai que si un seul éclair de raison venait traver ser les incubations mystiques du Führer-GfiaW'e.liej guerre serait impossible. 11 concevrait, en effet, avec une clarté totale, ce dont il doute encore, parait-il, à certains moments, ce dont son ministre Ribbentrop affecte de douter toujours, c’est-à-dire qu’un nouveau coup de force masserait aussitôt dans la résistance tous les peu ples unis dans le front de la Paix et scrupuleusement liés par leurs engagements réciproques. Alors, provoquer la guerre, pourquoi ? Quelle parité ou même quelle proportion dans le gain probable et dans le risque ? Pour briser à Dantzig un état de droit, qui, cinq bonnes an nées durant, n’a pas empêché Hitler de prodiguer ses grâces à la Polo gne, il risquerait la ruine de son régime et de son œuvre ?... Autant l’opinion française est déterminée à tenir ferme contre cette entre prise de crime et de démence, autant elle a de peine à y croire, et elle n’y croit pas parce qu’elle ne la comprend pas. Elle croit à la Paix, et la Paix pour elle ne signifie pas autre chose que l'arrêt des Dictatures dans la voie fatale... Voilà, ce me semble, comment s’expli-...