Extrait du journal

L. est certain que les fuhieurs sont à plaindre. A peu près sevrés de leur plaisir, ils souffrent et l'on se mo que parfois d'eux. On a tort. L'homme ne vit pas que de pain ; tout bon fu meur préférerait âne pipe à une tartine et il est des -cœurs qui donneraient beaucoup de grosses vérités pour la poésie vaporeuse d'un beau songe. C'est pour eux que j'écris cette petite chronique, et je voudrais leur conter une histoire déjà ancienne qui les aide rait peut-être à supporter un peu mieux leur malheur. _ Il y aura vingt-quatre ans cet hiver, je descendais avec mon bataillon des tranchées que nous tenions dans la Somme. La route gelée craquait sous mes semelles, dans ce matin sinistre gt -pourtant aimable puisque le soleil te levait et que nous allions au repo?. Du côté des lignes, les canons, qui avaieht un peu toussé pendant la nuit, s'étaient assoupis ; et j allais tirant sur ma pipe. Dans le pur matin glacé qui se déga geait de l'affreuse, de l'inhumaine, nuit, j'étais environné de fumée.' Il me sem blait que ma pipe me 'tenait chaud je tournais le dos à la guerre, je marchais vers la paix, une éclaircie, un espoir, et jamais pipe n'avait été meilleure et elle n'en finissait pas. Pendant une halte, je m'aperçus qu'elle n'était même pas allumée et que ce que je prenais pour sa fumée n'était que la vapeur de mon haleine dans le froid vif de l'aube 1 Aujourd'hui, nous devons garder aux, dents la vieille pipe souvent vide, marcher courageusement, croire, - faire le sacrifice nécessaire et, surtout, jurer d'être plus sages, plus modérés, meil leurs, et de fumer un peu moins quand il y aura de nouveau beaucoup de tabac chez la marchande....