Extrait du journal

Denise n'avaient cessé d'échanger; des lettres dans lesquelles ils Mettaient toute leur âme ; aussi, le soldat, pleinement rassuré, envisageait-il l'avenir avec confiance et sérénité. • : .. Soudain, un coup de foudre êclatadàns l'azur de son ciel. L'escadron dont il fai sait partie venait d'être désigné pour se joindre au corps expéditionnaire de Ma dagascar. Mais Pierre n'était plus le conscrit timide et gauche d'autrefois. C'était, maintenant, un soldat intelligent et dis cipliné. Il prit donc vite son parti d'un événement en somme, fort naturel dans la vie militaire. Et puis, il y avait autre chose : Pierre allait être promu brigadier, et un grain d'ambition germait, malgré lui, dans sa cervelle.. On assurait que la campagne ■seraitrude; ne pouvait-il revenir avec... eh! oui, avec l'épaulette... la croix peut-être!.,., — Une lettre de Madagascar ! cria un matin le facteur en traversant la cour de la ferme. ■ • ■ — Donnez vite ! dit le père Briot ên accourant... Voilà huit mois que Pierre ne nous a pas écrit, ajouta-t-il en déchi rant fébrilement l'enveloppe. Mais à peine eut-il parcouru les pre mières lignes, qu'il pâlit affreusement. Qu'y a-t-il donc ? lui demandèrent ensemble ses deux filles. Il y a, dit le fermier d'une voix sombre, qu'à la suite d'une blessure au bras gauche, Pierre vient d'être amputé ! . — Ah ! fit Denise en devenant blanche comme un lis, pendant que sa sœur, aussi pâle qu'elle, s'appuyait au mur pour ne pas tomber. — Pauvre garçon ! reprit le fermier en se laissant aller suj- une chaise, le visage dans ses mains. Denise, droite, immobile, ne disait pas un mot, ne versait pas une larme. Sa pensée s'en était allée là-bas, dans . un lointain immense ! Elle revoyait son fiancé, non plus comme jadis, fier et beau, mais-courbé par la maladie, les joues creuses, les yeux brillant de fièvre et la manche de son dolman flottant contre lui. , Alors, il lui sembla que quelque chose se brisait en elle et qu'un vent de glace passait sur son cœur. *** A partir fie ce moment, un changement étrange se manifesta dans l'attitude de Denise ; elle ne parlait plus que rarement de Pierre, et encore fallait-il qu'elle y fût forcée par son père ou sa sœur, qui, eux, ne cessaient de s'entretenir de l'absent. C'est que, malgré elle, une vision na vrante la poursuivait sans cesse. Elle voyait continuellement à son côté un soldat manchot,-hâve et bruni par le soleil des tropiques. C'était une obsession, véritable hantise, qui ne la quittait plus et la meurtrissait dans sa vanité; car quelques jeunes filles du village la sur nommaient déjà la manchotte, la ridi culisant par avance. L'absence et l'éloignement aidant, Denise, sentait son amour s'amoindrir de jour en jour. Au lieu de repousser, comme naguère les galanteries des jeunes gens qui lui faisaient la cour, elle paraissait mainte nant les encourager, au grand étonnement de son père, qui ne comprenait rien à cette singulière conduite. Un jour que Marie insistait auprès de sa sœur pour l'obliger à s'expliquer enfin; cette dernière lui' répliqua nettement qu'elle n'épouserait,jamais un infirme. , En entendant ce blasphème, Marie ne put retenir un cri d'horreur ! — Que veux-tu, c'est plus fort que moi, reprit froidement Denise. D'ailleurs, mon parti est pris et je vais me fiancer à Emile Chavret. : — Tu ferais cela? s'écria Marie, en pre nant sa sœur dans ses bras et la regar dant bien en face... Non, n'est-ce pas? C'est une plaisanterie... Tu veux rire à mes.dépens! — Pas du toul, je t'assure, répliqua d'un ton glacé la jeune fille.. Certes, continua-t-elle en se dégageant de l'étreinte de sa sœur, j'ai beaucoup d'ami...