Extrait du journal

encore l’esclave du devoir, se borne à lui répondre : — Si tu me tues, tu n’auras sûre ment pas de procès-verbal ; mais si tu ne me tues pas, je te jure bien que tu en auras un ! Cette réponse, faite en de telles condi tions, n’était-elle pas merveilleusement crâne? Elle parut telle au braconnier lui-même, qui lâcha son prisonnier. Le garde rédigea son rapport, comme il l’avait promis. L’autre fut condamné, et, chose peu commune, converti du coup, parait-il. Ces « conversions » sont rares. Le braconnier, généralement, ne s’amende pas facilement, et ce n’est guère qu’au théâtre, comme dans un opéra comique représenté il y a quelques années, qu on voit le rôdeur de la forêt, repentant, épouser la fille du garde. Je me souviens d’une tragique his toire. C’était, il me semble bien,dans la Drôme. Un garde particulier d’un do maine considérable venait d’être ins tallé. Celui qu’il remplaçait, fatigué, vieilli, à demi infirme,avait laissé pren dre des habitudes de braconnage qu’il était impuissant à réprimer. Le nouveau garde, qui sortait des chasseurs à pied, et qui était jeune et ardent, prit, lui, son métier au sérieux. Toujours en tournée, toujours en éveil, il dressa en peu de temps des contra ventions à presque tous les habitants des environs et se montrait extrême ment zélé et rigoureux,ne faisant grâce à personne. — Prenez garde, lui dit-on un jour, il pourrait bien vous arriver une mé chante aventure. Et on l’avertissait de se montrer par fois un peu plus clément. Mais le garde était très brave, très hardi et, quand on lui parlait ainsi, il montrait en riant le fusil qu’il portait en bandoulière. — Cette « clarinette », répondait-il, est faite pour tenir en respect les malin tentionnés. Un matin, pourtant, on le trouvait assassiné. Mais les conditions du crime étaient particulièrement dramatiques. Il avait été l’objet d’une vengeance longuement préparée et il était tombé dans le guet-apens qu’on lui avait tendu. Evidemment, il avait dû être saisi par quatre ou cinq hommes soli des qui Savaient désarmé, garrotté et attaché à un arbre. La reconstitution du meurtre évoqua la scène qui avait dû se passer. On l’avait lié au tronc d’un bouleau, on lui avait arraché ses vêtements et on avait tiré sur lui les deux coups de son pro pre fusil. Le malheureux avait dû avoir une longue agonie. Un papier avait été, par une ironie sinistre, fixé sur ses habits avec ces mots : « Procès-verbal.— Tu n’en feras plus ! » Ce fut une cause célèbre. Les enquê tes les plus minutieuses ne purent four nir aucun indice. Les assassins étaient assurément dans le village voisin de la propriété, mais on n’arriva à tirer un mot de personne. C’était comme un complot général. Sans détails aussi romanesques, je lis dans les rapports officiels que les départements du Calvados et de Seineet-Marne ont été ceux où les attentats criminels contre les gardes ont été le plus fréquents. L’existence du garde-chasse, si elle a ses dangers, a, heureusement, des compensations. Il vit, libre, en pleine nature, d’une existence saine, dans les bois qu’il ar rive à aimer comme s’ils lui apparte naient. Les jambes guêtrées, la blouse de velours serrée à la ceinture, il est sans cesse au grand air, et, par son ac tivité, il défie les maladies. Rien n’est gai, en général, comme ces petites maisons forestières qu’on aperçoit, sous leur rideau touffu de vigne vierge, à la lisière de quelque bois, tandis que des poules picorent tout autour et qu’un jardinet, ménagé...