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Le Petit Marseillais, 4 août 1909

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Le Petit Marseillais
4 août 1909


Extrait du journal

Un commerçant de notre ville veut bien nous communiquer une relation vé cue des journées d’émeute de Barcelone et qu’il vient de recevoir d’un de ses voyageurs. Nous en extrayons les passa ges suivants : Barcelone, le 31 juillet. Je vous écris sous le coup d’une pénible impression et d’une grande tristesse. Depuis trois jours ce ne sont qu’incendies, fusillades, etc.; mais je vais vous donner quelques dé tails sur ces affreuses journées ; Première journée, mardi 27. — Partis de Zarageza par le rapide de lundi, je comptais pouvoir arriver à Marseille le mardi soir. On parlait bien de révolte ; mais on était loin de penser que cela prendrait des proportions aussi grandes. Vers 6 heures du matin, le mardi, nous apprenons, en gare de Reuss, que les révolutionnaires coupaient la voie et fai saient. sauter les ponts ; nous continuons pourtant notre route. Arrivés à Çubellas, nous sommes arrêtés ; le chef de gare nous dit. : * Impossible d’aller de l’avant, sans s’ex poser ù une mort presque certaine, car les révolutionnaires ne veulent laisser passer au cun train. » Nous demeurons lâ jusqu’à 11 heures ; nous apercevons alors des bandes d’individus qui s’approchaient. Pour ne pas être coupés des deux côtés, nous faisons machine en arrière. A peine venions nous de repartir et nous dis posions-nous à déjeuner, que nous sommes assaillis par une grêle de grosses pierres, et, une énorme, brisant la glace du restaurant, vient me tomber à côté. On croit que je suis blessé ; mais il n’en est rien. Nous arrivons ù San-Vicente et prenons l'autre ligne pour ga gner Barcelone ; mais arrivés à Sans, toute la voie est coupée et ordre nous est donné de descendre du train. Que faire ? Je m’adresse à un Inspecteur, qui très aimablement me dit : « Vous avez deux solutions : celle de rester ici et attendre les événements, ou bien de partir à pied pour Barcelone ; mais à vos risques et périls ; ce n’est pas pnident. » Com me il me disait que cela pouvait durer long temps, j’étais perplexe. Enfin, prenant mon courage à deux mains, je me décide pour la deux ’Ame solution ; aller à Barcelone, pen sant pouvoir en partir pour Marseille, c'est dix kilomètres environ à faire, à 3 heures de l’après-midi, sous un soleil de plomb. Partout je rencontre des barricades, des trains ren versés et d’immenses incendies. On venait de mettre le feu aux couvents, et l’on élevait des barricades pour empêcher la troupe de venir les éteindre ; pendant ce temps la fusillade faisait rage de tous les côtés.Enfin, après une heure et demip environ de cette marche for cée, j’arrivais ù l’hôtel d’Orient, sur la Rambla, où je tombais harassé dans un fauteuil, en poussant un soupir de soulagement et de satisfaction. Toute la soirée, à côté de l’hutel et dans tous les quartiers, la fusillade a continué. Défense de sortir. On voyait à chaque instant passer des gens portant des morts et des bles sés. Nous en avons vu défiler ainsi plus de quarante. La nuit arrivant, la fusillade dimi nua. A partir de 8 heures, tout fut assez tranquille. On ne voyait plus que les lueurs des incendies allumés aux quatre coins (le la ville. % Deuxieme journée, mercredi 28. — Ce ma tin nous apprenons que toutes les personnes se trouvant dehors à partir de 9 heures se raient arrêtées et fouillées. Aussi restonsnous dans notre hôtel, d’où nous entendons de temps en temps quelques coups de feu. A 8 heures nous apercevons des bandes de révolutionnaires portant sur des brancards des squelettes de prêtres morts depuis long temps et que l’on avait enlevés des couvents incendiés. C’était un spectacle répugnant et épouvantable. Nous sommes renfermés, et ne pouvons même pas donner des nouvelles à nos famil les. Il u’y a plus de communications. J’ai eu la chance de rencontrer ici M. Fiera ngeli, frère du sympathique député de la Corse. Nous tâchons de tuer le temps comme nous le pouvons, en attendant un bateau ou un train qui nous ramènera auprès des chers nô tres. Mais voici la fusillade qui reprend de plus belle ; il est 11 heures. Nous sommes là une vingtaine de voyageurs littéralement prison niers. Nous voulons essayer de regarder der rière les persiennes pour voir un peu ce qui se passe ; je suis avec M. Pierangeli. Nous sommes aperçus et couchés en joue. Grâce à un officier, qui a retenu le bras du soldat, on ne nous tire pas dessus, mais on nous invite à ne plus nous montrer. C’est ce que nous faisons. Dans les rues, à côté de l’hôtel, en plein centre, il y a des barricades, c’est ce qui explique la fusillade nourrie que nous enten dons; puis on tire, des fenêtres, sur la troupe, et l’on répond ; on se croirait à une chasse â l’affût. Sans exagération, on a tiré plus de cinq mille coups (le fusil soit devant, soit dans les rues, à côté de l’hôtel. Toute l’aprèsmidi, ça n’a été que des décharges, et, vers les six heures, le canon a commencé à tonner ; mais il nous est impossible de savoir quelque chose. Tout ce que nous avons su, c’est que dans 14 journée d’hier il y avait eu plus de 300 morts et blessés, et aujourd'hui, il doit y en avoir davantage, car au centre de la ville la fusillade n’a pas cessé, même à la nuit. 11 faut avoir vécu ces heures-là pour y croire. Troisième joûrnée, jeudi 29. — Ce matin, à 7 heures, nous voilà dehors, à la recherche d’un renseignement pour pouvoir partir; mais nous revenons bredouilles. J’écris au consul de France et lui fais part de notre situation. Un peu île mouvement, quelques coups de feu ; 9 heures sonnent, on nous fait tous rentrer et nous revoilà prisonniers. A 3 heures après midi, à l’hôtel, grand émoi; on frappe et l’on nous somme d’ouvrir : c’est un groupe de carabiniers et de policiers qui soutiennent que l’on a tiré d’une terrasse de l’hôtel et qui viennent faire une visite après avoir fait une décharge en règle contre les fenêtres de l’hôtel ; fort heureusement, il n’y a eu que des carreaux brisés, sans atteindre personne. Voilà nos policiers, le doigt sur la détente du fusil, prêts à tirer, montant, quatre à quatre, les escaliers ; nous les suivons, car c’est un divertissement pour nous. Arrivés au deuxième étage, ils se mettent un par un et montent, laissant un homme à chaque mar che. Un brave négociant, qui arrivait de Pa ris avec sa femme, se trouvait dans le corri dor. La dame, à la vue de la force armée, est prise de peur et se sauve en courant dans sa chambre, son mari court après elle; ce que voyant, un carabinier, croyant que c’était le coupable, épaule et va tirer, lorsque nous lui arrêtons le bras, et lui expliquons que ce n’est pas un coupable, mais un voyageur étranger ; le carabinier ne le croyait pas. et...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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