Extrait du journal

Le règne du nouveau tzar commence par des mesures généreuses, dignes d’un souverain jeune, qui ne se veut appuyer que sur l’affection de son peuple. Ainsi, parmi ses actes de clémence, vient-il de proclamer un ukase équivalant à l’amnistie complète à l’égard des anciens insurgés de la Pologne, en 1863, jusqu’à présent sou; mis, alors même qu’ils avaient été graciés des peines jadis prononcées contre eux, à une surveillance parti culière. Celte amnistie causera, en France, une impression heureuse. Nos vives sympathies pour la Russie ne pouvaient nous faire oublier que les Polonais furent nos anciens clients;que,naguère, ils avaient rnis leur confiance en nous; que nous avions aussi des devoirs visà-vis de ces exilés. Quand ils furent vaincus, à la suite de la formidable insurrection de 1862, fertile en héroïsmes.ils se tournèrent vers nous comme comme vers la nation hospitalière entre toutes. La France, — le gouver nement de Napoléon III ne leur avait-il pas imprudemment, pendant quelque temps, fait espérer une assistance effec tive ? — les reçut cordialement, elle accorda même aux réfugiés des pen sions de secours qui sont encore inscri tes au budget, ne le grevant pas beaucoup, aujourd’hui, car ils sont à peine une centaine, à présent, ces pensionnés. Leur doyen était récem ment. encore, — je ne sais plus s’il vit toujours — M. Théodore W volé, l’ancien aide de camp du dictateur Langiewicz. Nos amitiés nouvelles, si sincères qu’elles soient, peuvent-elles, en notre loyal pays, nous faire répudier nos amitiés anciennes? Mes souvenirs d’enfance me rappellent les quêtes, les représentations, les soirées organisées pour venir en aide aux Polonais battus, à qui nous offrions un foyer. Par un hasard vraiment très curieux, la nouvelle de la mesure de clémence du tzar Nicolas 11 arrive à Paris au moment, même on les Polonais de l’émigration se réunissent, tous les ans, en un banquet fraternel, qui était toujours pour eux un banquet de deuil où ils évoquaient le souvenir des luttes partagées en commun. Forcément résignés depuis longtemps, les Polonais, libres maintenant de revoir leur an cienne patrie, auront, cette fois, éprouvé un sentiment de gratitude pour leur nouveau souverain. Les Polonais! Je sais bien que le sujet dont je parie n’est plus guère de mode et que la légende de ces « anciens » s’est, chez nous, peu à peu éteinte. Victimes de leur patriotisme, ils sont peut-être aussi victimes, dans l’opinion actuelle, des nuances sentimentales qui les ridiculisèrent un peu. Mais, autrefois, notre pays s’honora par cette pitié qu’il témoigna à l’égard de ceux qui connaissent le pire des malheurs , celui de n’avoir plus de patrie; et cet honneur, quoique les circonstances soient changées,pourquoi le répudierions-nous ? Au reste,ce sont déjà de vieux souve nirs que ceux-là. L’apaisement s’est fait dans les esprits. Peu à peu, les mesures exceptionnelles prises par le gouvernement russe contre la Pologne avaient cessé. Bien des réconciliations avaient eu lieu aussi entre ennemis qui semblaient irréconciliables. Le temps modifie tout. On peut, présentement, songer, sans risques de réveiller d’àpres irritations, à ces luttes qui trouvèrent en France tant d’échos. Le tzar a voulu effacer les dernières traces de ces luttes. L’histoire s’est éclairée aussi.Du point de vue où nous sommes, maintenant, nous embrassons mieux les choses. La...