Extrait du journal
NOS FILLES Les lecteurs du Petit Marseillais se souviennent-ils d’une suite d’articles que, au cours de cet hiver, j’ai publiés ici même sur la question de l’éduca tion de nos filles sur les difficultés de leur établissement 1 J’aboutissais à cette conclusion que le plus grand ennemi de la jeune fille moderne c est le luxe. Je conseillais aux jeunes filles de la bourgeoisie, qui n’ont point de dot, d’apprendre courageusement un de ces états où la grâce, le goût, le tact d’une femme, ont tout leur prix. Je demandais : — Qui donnera l’exemple ? Cette campagne que ie menais dans Petit Marseillais et ailleurs me valut beaucoup de lettres. Une entre autres que je mis à part. Une jeune fille d'excellente bourgeoisie m’écrivait que, pour échapper à l’ennui de l’oisi veté et donner un emploi au don natu rel qu’elle se sentait pour la fabrication des chapeaux, elle songeait à ouvrir un cours de modes. — Toute mon inquiétude, disait comme conclusion ma correspondante, est que$inon initiative soit mal prise par mes amies et mes connaissances. Je voudrais qu’on me donnât la liberté du travail, puisque je l’aime, sans m’infliger le chagrin d’uu injuste déclassement. Je me souvenais qu’au mois de novembre dernier, étant en séjour au château d’Osny, dans la famille Edmond About, j’avais eu une longue conversation avec une des filles du grand écrivain. Mlle Valentine About m’avait conté que sa vie de jeune fille lui semblait bien vide, qu’elle aurait souhaité la remplir par une occupa tion de son goût. — Tenez , disait-elle , je suis née modiste. L’autre jour, M“* Pierre Decourcelle, ma sœur, assistait aux Français, à une première représenta tion. Elle portait ce jour-là un cha peau de ma façon. A l’entr’acte, elle a été abordée par une des célébrités de la rue de la Paix, une grande modiste, chez laquelle elle se coiffe ordinaire ment. Et l’illustre « Madame» lui dit: « Vous m’avez fait une infidélité ! » Cette conversation m’étant revenue dans la mémoire, je me dis que ma correspondante inconnue ( toutes les demoiselles d’aujourd’hui ont la même écriture élégante et violette) pouvait bien être M“e About. Je voulais en avoir le cœur net. J’allai Tui faire visite. Elle me répondit: — Vos prédications m’ont convertie. Je suis toute prête à donner l’exemple que vous réclamez, en mettant dans ma vie de jeune fille un intérêt qui y manque. D’autre part, si je cède à vos conseils, je m’attends bien à essuyer quelques rebuts ; promettez-moi donc voire assistance et votre appui moral. J’ai atïiriné à Mlle About qu’elle pou vait compter sur moi, que j’étais ravi de voir germer, dans une terre si riche, le grain que j’avais jeté à la volée. Je lui ai promis que si elle organisait un cours, j’irais l’hiver prochain, le jour de l’ouverture, expliquer aux jeunes lilles qu’elle aurait groupées autour d'elle, d’abord que le dessin et la colo ration d un chapeau sont des besognes d’artistes; ensuite, que les jeunes filles de bourgeoisie ont trouvé un sûr moyen de s’ennoblir, si elles renoncent au préjugé qui les empêchait d’entrer dans la voie du travail. —En ce cas, m’a répon du M“° Valen tine About, vous pouvez, vous aussi, cornpter.sur moi. Je vous ai dit que cette jeune fille avait le don. Elle est allée chez une modiste, charmante et désintéressée, faire l’apprentissage même du métier. Kl, quand elle s’est sentie capable d’enseigner elle-même, sans tapage, sans réclame, elle a averti quelquesunes de ses amies, elle a ouvert un cours. On a momentanément demandé l’hospitalité à une dame qui, dans des conditions analogues, a installé pour les jeunes filles mondaines des leçons de coupe. Il y a tout juste trois mois Que les aiguilles courent dans la paille et voilà que M“* About a déjà quarantesix élèves. . — El si vous saviez, me disait le jeune professeur, comme elles sont passionnées ! Je ne peux plus les ren voyer à l’heure! C’est que je leur apprends tout ce qui concerne mon état : à faire des formes et des barret tes en tulle, des pattes à choux et des pattes à ailes, des capotes, des tricornes> des canotiers, des toques. Elles savent lai tonner de la paille au ïTiètre, laitonner de la dentelle, poser des lames, draper le velours, le taffejos, le tulle, monter des aigrettes et des fleurs, nettoyer des pailles, des rubans, des velours. Je leur apprends a prendre la mesure d’un chapeau, le Patron d’un chapeau, à copier un cha peau d’après une gravure ancienne, cnlin je rêve des chapeaux, mes élèves [d rêvent avec moi, et je serais parfail<‘ment heureuse d’avoir suivi votre conseil si... .Le «si» de M“* Valentine About *se des articles aigres-doux qui ont LmV101 et là» et qui ont donné à sa *numve une figure dont elle s’estaune...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
En savoir plus Données de classification - cappelli
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