Extrait du journal
Je viens de passer, en quelques jours, par des impressions bien variées : j’arrive de Suisse. J’y étais allé poussé par une curiosité bien légitime, voulant voir et savoir, au trement que par des ouï-dire , ce que pourrait être la visite de l’empereur Guil laume à la République helvétique. J'ai assisté a tout, aux préparatifs, à la fête et... au lendemain, ce qui n’est pas la moins intéressante des impressions que je rapporte. Avant la fête, j’ai suivi toutes les per plexités préparatoires, ce petit affolement de l’état d’âme national , où chacun , parmi ces excellentes gens, se trouvait tout à la fois très content, très ennuyé, très calme, très agiiô, très embarrassé surtout, un peu flatté aussi de la grande marque de condescendance du puissant monarque s’arrêtant chez ce petit peuple, pour le saluer. Et je saisissais chez tous celte idée vaguement définie défaire et de ne pas faire, de se montrer hospitalier et de ne pas agir en courtisan, d’éviter — complexe problème ! — d’avoir l’air de ne pas avoir l’air. — Pendant la fête, une très rigide mise en pratique de ces soucis d’hospitalité et de dignité. La réception à Fluelen, au fond du lac des Quatre-Cantons, proche du légendaire champ d’Altorf, où une centaine de villageois à peine, notre petit groupe d’invités — vingt tout au plus, — une douzaine de personnages officiels, la musique municipale de Lucerne et une compagnie du canton d’Uri, formaient le modeste groupe qu’a trouvé Guillaume II faisant son entrée officielle sur le terri toire helvétique. Puis le débarquement à Lucerne, où, tandis que quelques groupes d’Allemands, accourus de toutes les sta tions des alentours, poussaient leur hoch traditionnel, la population suisse, très dense et curieuse, se contentait digne ment de se découvrir au passage du sou verain. Point de prétention à une manifesta tion quelconque, point d’émulation à montrer à l'impérial visiteur un imposant appareil de forces militaires : Deux com pagnies seulement de robustes fantassins fédéraux, un escadron de cavalerie, et voilà tout le faste guerrier qu'on a voulu déployer pour le recevoir. Les Suisses ont pensé, avec raison, que leurs monta gnes pouvaient témoigner bien mieux que tout, de leur inexpugnabllité, et que ces quelques montagnards râblés, le fusil en bretelle, qu’ils montraient comme échantillon des troupes de la défense fé dérale, suffisaient à compléter cette se reine démonstration de leur puissance défensive. Après la fête, un air de détente géné rale; partout des visages joyeux, des conversations animées. Là, je l’avoue, j’ai eu peur un moment : Le jeune empereur avait fait des frais très apparents et soutenus d’amabilité, il avait souri tout le temps, donné nombre de cordiales poignées de mains, s’était en un mot efforcé de paraître, dans la mesure que lui permettait sa rétive roideur militai re, très bon enfant; l’impératrice, de très gracieuse allure naturelle,du reste, avait avec prodigalité dépensé ses ressources de séductions féminines. Et je me disais que toutes ces avances, venant de si hauts et si puissants personnages , avaient pu réussir à éblouir ces excellentes gens en l’honneur desquelles avait été tiré ce feu d’artifice d’amabilités du couple impé rial , que l’Allemand en allait prendre ainsi, chez le peuple Suisse et dans le sein du gouvernement fédéral, assises de sympathies grosses de périls pour nous, et que cet aspect général de contentement de la foule qui s’écoulait était l’indiscu table témoignage de ce nouvel état d’âme qui m’effrayait si fort. Eh bien ! je me trompais du tout au tout, et j’ai pu vite m’en convaincre en me rapprochantdes groupes,pourécouter. La joie ne venait que d’une impression de soulagement. C’était le ouf ! de gens arrachés à leurs habitudes simples, forcés...
À propos
Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.
En savoir plus Données de classification - jamais
- guillemet
- turrel
- lenoir
- lacombe
- balsan
- elisah
- gauthier
- meyer
- peytral
- france
- albine
- tamatave
- suisse
- chambre
- new-york
- paris
- oise
- marseille
- mozambique
- sénat
- n m.
- union
- parlement
- la république
- conseil de guerre
- agence havas